Et Dieu donnera la victoire
bien calme.
Paris, 1425
Dans le courant du mois de juillet, les fidèles parisiens venant faire leurs dévotions à la chapelle des Innocents contemplèrent, stupéfaits, un grand diable d’homme vêtu à l’allemande qui gesticulait en traçant au charbon, à grands traits, des figures sur le grand mur dressé au-dessus de l’ossuaire où surnargeaient des ossements. On l’interrogea : il prétendit s’appeler Hans Macabré ; il était originaire d’une principauté d’Allemagne dont personne ne put retenir le nom ; il était artiste-peintre de son métier et courait le monde pour offrir ses services. L’évêché l’avait engagé pour décorer à fresque quelques murs de la ville en lui laissant le libre choix de ses thèmes.
Alors qu’il était bien engagé dans son travail, certains tentèrent de lui faire expliquer ce que signifiait le tableau qu’il avait entrepris de peindre, mais il était peu loquace et s’exprimait dans un mauvais charabia.
On put apprendre cependant que ses oeuvres, au cimetière des Innocents ou en d’autres lieux, avaient pour sujet essentiel la mort. Son idée était de démontrer que, devant les ravages de la peste et de la guerre, la mort ne choisit pas : figurée par un cadavre en voie de décomposition, elle entraîne dans sa danse un cortège de rois, de seigneurs, de princes de l’Église, de bourgeois et de manants.
Ses visions le hantaient au point qu’on le vit à plusieurs reprises pleurer et se lamenter sur les misères du monde et sur son impuissance à les traduire en perfection. Il avait dressé contre l’ossuaire une tente où il prenait ses repas et dormait, dans le voisinage de cette mort dont il nourrissait ses obsessions et son art. Lorsque les prostituées qui avaient fait du cimetière leur terrain de chasse venaient le solliciter, elles repartaient bredouilles et le traitaient de fou.
On constata un matin que sa tente avait été repliée. Son oeuvre achevée, Hans Macabré avait disparu, parti semer l’image de la mort égalitaire à travers la France. On prit l’habitude, parlant de sa fresque, de l’appeler la Danse macabré , puis la Danse macabre . Des cordeliers et des membres d’autres ordres mendiants venaient de temps à autre, devant cette image terrible, rappeler à la population que, devant la mort, les manants sont les égaux des princes.
Bourges, 1425
Pierre de Giac tendit au dauphin le velin qu’un de ses agents à Paris venait de lui transmettre après l’avoir acquis d’un moine de Saint-Martin-des-Champs habile du pinceau.
– Une Danse macabre , dites-vous ? demanda Charles. Montrez-moi cela.
Il s’approcha de la fenêtre donnant sur le jardin de Chinon et les toits roux de la ville. Dans un décor de châteaux et de chaumières traité à la manière des Heures du duc de Berry, un squelette souriant menait la danse, entraînant à sa suite une théorie représentant toutes les conditions sociales. Il en fut choqué : cet évêque mitré donnant la main à une paysanne rougeaude n’était pas de son goût. À la réflexion, il songea qu’après tout, au regard de Dieu, à l’heure du Jugement, tous les êtres humains étaient égaux sur la balance des mérites.
– Des images de ce genre, ajouta Pierre de Giac, figurent dans les églises, les monastères, les cimetières et jusque chez les bourgeois. C’est devenu une sorte de mode. Elle peut signifier que tout vient de Dieu et que tout y retourne. Mais rassurez-vous, monseigneur, dans l’intervalle entre l’aller et le retour, il y a place pour le plaisir.
« Le plaisir... Il a raison, ce cher Giac, songea le dauphin. Si Dieu nous accorde la vie, ce n’est pas pour attendre patiemment la mort. Ce corps dont Il nous a pourvus, on ne peut lui interdire de jouir. »
Une bouffée d’émotion lui fit monter le rose aux joues : cette petite garce que Cadart avait glissée la veille dans son lit était chaude comme braise, odorante de sueurs d’amour, insatiable.
– Monseigneur, dit Giac en roulant le velin, il faut vous préparer pour le Conseil.
Le chambellan avait déjà revêtu sa courte houppelande écarlate doublée de zibeline, ses chausses noires sans un pli, coiffé son chapeau doté d’une écharpe qui flottait sur ses épaules. Il suffisait de le voir évoluer, majestueux, visage brun, regard sombre, pour admettre que ce personnage était la séduction même.
Richemont le détestait avant même de le connaître. Leur première rencontre
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