Eugénie et l'enfant retrouvé

vraiment bien.
    — Ta mère ?
    — Elle sera à la maison dans deux semaines. Après, on ne sait pas. Une tumeur.

L’autre murmura un «Oh!» étouffé. Cela suffit pour tirer la religieuse de son antre. Elle parcourut toute la distance jusqu’à leur couchette. La grande ombre blanche glissa un «Mesdemoiselles» sévère. Tout de même, avant de repartir, elle effleura très légèrement l’épaule de Béatrice.
    Cela valait une absolution inconditionnelle, et même une indulgence plénière.
    Le retour d’Eugénie à la maison suscitait un véritable branle-bas de combat. Il fallait mettre à la disposition de la malade un espace assez grand, où elle pourrait trouver à peu de distance l’un de l’autre un lit, un bon fauteuil et une salle de bain complète. Tout cela, la garçonnière de Fernand en profitait, tout comme l’appartement de madame Dupire.
    Comme déloger cette dernière demeurait inconcevable, l’homme acceptait de se sacrifier.
    La première étape avait été de déplacer le lit de son épouse. La proximité de la chambre de Béatrice, de l’autre côté du couloir, permit de le loger là. Si la petite pièce se trouva du coup bien encombrée, la propriétaire ne s’en plaindrait pas. Ensuite, avec l’aide d’Antoine, ils entreprirent de transporter la couche de l’époux vers la chambre au décor de bonbonnière de la femme.
    — Maman aurait pu occuper ton lit, commenta Antoine pendant que tous les deux essayaient de déménager le lourd fardeau depuis la pièce tout au fond de la maison jusqu’à celle donnant sur la rue.
    — Tu trouves cela trop lourd ?
    Le garçon de douze ans se redressa en élargissant les épaules.
    — Non, pas du tout. Mais pourquoi déplacer ces meubles ?
    — Eugénie logerait sans mal dans mon lit, mais pas moi dans le sien. Je le trouve trop étroit, et si je bouge un peu brusquement dans mon sommeil, il pourrait s’effondrer.
    L’homme exagérait à peine: la couche étroite de la conjointe convenait mal à un homme de sa corpulence.
    — Mais là, il ne reste plus de lit dans ta chambre.
    — Même si ta mère rentre à la maison dans deux jours, elle aura encore besoin de soins. Demain, des livreurs apporteront un lit d’hôpital.
    — Il lui faudra combien de temps avant de se rétablir tout à fait ?

    — Si tout va bien, les médecins évoquent un mois de convalescence.
    Le temps de faire passer le lit dans la petite chambre, ils demeurèrent silencieux. Le meuble prenait toute la place, l’homme aurait du mal à se déplacer autour pour se rendre jusqu’à la garde-robe ou à la commode. Charles arriva à ce moment, les bras chargés de vestons.
    — Pose cela sur le matelas, et fais la même chose avec le contenu de la commode, en essayant de ne pas trop froisser les chemises.
    Quand il fut reparti, Antoine dit à voix basse :
    — Tu y crois, toi, que tout ira bien ?
    — Selon le docteur Picard, elle a la moitié des chances de se remettre complètement.
    Fernand interprétait de façon bien libérale les paroles du médecin. Il ne s’autorisait pas à se montrer trop pessimiste devant les enfants. Mais ces nouveaux aménagements lui semblaient susceptibles de durer plusieurs mois. Au cours des minutes suivantes, les vêtements masculins s’entassèrent sur le lit. Quand ils eurent terminé, le père dit encore :
    — Merci, les garçons. Afin de ne rien froisser, nous laisserons la domestique transporter les affaires de maman.
    Maintenant, profitons de la sortie au restaurant que je vous ai promise, entre hommes.
    En toute autre circonstance, l’événement aurait soulevé des commentaires enthousiastes. Durant les prochains mois, cela ne se produirait guère.

    *****
    L’ambulance se rangea contre la maison, deux hommes solides en descendirent. Quand ils ouvrirent toutes grandes les portes arrière, une jeune femme rousse sauta prestement sur le sol. Elle laissa à ses compagnons le soin de sortir la civière.
    Pendant
    qu’ils
    la
    transportaient
    jusqu’à
    la
    porte
    d’entrée, elle échangea quelques mots avec la malade.
    À cause du froid de la fin octobre, on avait soigneusement enveloppé celle-ci dans une couverture.
    L’ascension de l’escalier fut un peu périlleuse, mais les ambulanciers savaient y faire. La porte de la demeure s’ouvrit devant eux. Depuis le matin, Fernand attendait leur arrivée. Il s’effaça pour les laisser entrer.
    — Bon retour à la maison, dit-il à sa femme alors qu’elle passait