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Eugénie et l'enfant retrouvé

Eugénie et l'enfant retrouvé

Titel: Eugénie et l'enfant retrouvé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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en a certainement eu d’autres, dit-elle sur le même ton.
    — Tu as raison. Et oui, ça me paraît un peu étrange, en effet. Mais il a trouvé une activité qui le rend heureux, sans nuire à personne. Au contraire, il se rend utile. Alors, pourquoi l’en empêcher ?
    — C’est aussi pour cela que tu acceptes que je sois pensionnaire cet automne.
    L’homme hocha la tête en la prenant de nouveau par l’épaule pour la rapprocher de lui.
    — Si faire du latin te fait plaisir, je ne ferai rien pour t’en priver.
    Le geste, tout comme la douceur de la voix, la toucha au point de faire monter des larmes à la commissure de ses yeux. Ils arrivaient en bordure d’un boisé. Quelques cerisiers formaient un buisson sur leur gauche.
    — Comme tu vois, papa, elles sont bien mûres, dit Charles en tendant les mains.
    Les petits fruits se trouvaient encore trop haut pour lui.
    L’homme tira sur le tronc de l’un des petits arbres pour le faire ployer au point de rendre les grappes accessibles. Le garçon semblait résolu à en avaler assez pour se donner un bon mal de ventre. Cela aussi faisait partie des plaisirs de la vie à la campagne.

    *****
    À l’heure du souper, Antoine brillait par son absence. Le reste de la famille Dupire se tenait réunie autour de la grande table, devant un rôti de porc. Par cette chaleur, un tel repas demandait de solides appétits.
    — Il lui arrive souvent de manger chez le fermier ?
    — Quand sa journée de travail s’allonge un peu trop, expliqua la grand-mère. Il ne gagne pas vraiment au change, le même animal doit garnir leur table de fortune.
    Depuis des années, la famille de cultivateurs abandonnait sa grande maison aux bourgeois de la ville pour camper dans une petite bâtisse de planches. Les enfants dormaient à même le foin, dans l’étable.
    — Parfois, après le travail, ils vont se baigner dans le fleuve, ajouta Charles, heureux de rendre des comptes sur les mœurs de la campagne. Tout nus.
    — Cela vaut mieux que de mouiller tous leurs vêtements, non?
    — Mais ils sont tout nus !
    Visiblement, les Frères des écoles chrétiennes entretenaient longuement les enfants de dix ans des risques du péché de la chair, pour que la chose lui semble si répréhensible.
    — Y a-t-il des dames avec eux ? demanda la grand-mère Dupire en se penchant vers lui.
    — ... Non.
    — Dans ce cas, cesse de t’inquiéter pour le salut de leur âme.
    Contrairement au reste de la famille, Eugénie jouait avec ses aliments du bout de sa fourchette, presque sans rien avaler.
    Elle participait peu aux conversations, encore moins pendant les mauvais jours du mois.
    Après le repas, la famille déplaçait les chaises sur la longue galerie afin de profiter un peu de la douceur du soir et s’éloigner du poêle à bois encore chaud. Quand Antoine arriva enfin, un peu passé huit heures, il portait des traces évidentes de sa baignade.
    — Aujourd’hui, j’ai planté les piquets de clôture, annonça-t-il avec fierté.
    À douze ans, il affichait un corps robuste, de bonne taille.
    Les paysans parlaient déjà de lui comme d’une «pièce d’homme », un compliment pour ces gens habitués à devoir compter sur la force physique dans les tâches quotidiennes.
    — Même si tu es fatigué, tu veilleras un peu avec nous ?
    demanda la vieille dame.
    — Je ne suis pas si fatigué. Puis, j’aime ce travail.
    Le garçon s’installa sur le bord de la galerie, les jambes pendant dans le vide, près de sa grand-mère. Celle-ci alternait son regard entre ses enfants et le soleil déclinant.
    Sa vieille domestique, depuis longtemps totalement inutile, occupait une chaise voisine de la sienne. Elles échangeaient quelques mots comme de vieilles amies. A les entendre, personne n’aurait deviné la véritable nature de leurs rapports depuis cinquante ans.
    Les enfants furent les premiers à monter à l’étage pour dormir, les adultes les suivirent bientôt. Fernand demeura un long moment seul, tenaillé par l’envie de descendre la côte abrupte pour aller marcher près du fleuve. Chaque fois, ses conciliabules avec Jeanne lui revenaient en mémoire.
    Surtout, il regrettait de ne pouvoir répéter ces promenades avec Elise.
    Il n’entra pas avant que le ciel se colore d’un bleu très sombre. Eugénie se tenait encore dans la chaise berçante placée près de la fenêtre, endormie. Il lui toucha doucement l’épaule, tout en disant:
    — Tu seras mieux dans ton lit, je

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