Ève
les mots qu'attendaient Lemec'h et sa sœur Beyouria :
— Sœur, des nouvelles d'Hadahézer, je n'en ai pas plus qu'au jour de la naissance de ton fils. Mais je saurai être un père pour Nahman si tu le souhaites. Si cela doit se faire devant tous et devant l'autel d'Élohim, je l'accepte.
Beyouria ne répondit pas. Elle s'efforçait de ne pas laisser ses larmes tomber sur les joues rondes de son fils. Elle baisa les lèvres de Yaval.
— J'irai où tu voudras et Nahman te respectera comme s'il était né de ta semence, murmura-t-elle.
Lemec'h et Yaval s'installèrent sur les coussins du repas. Quand les écuelles de millet, les dattes et les gobelets de lait aigre adouci au jus de figue furent devant eux, Yaval raconta que l'agitation des idolâtres était à son comble dans le pays de Nôd. Dans le Sud, les cités croissaient. Elles attiraient autant de dieux que d'hommes.
— Les croyants de Mardouck y construisent des autels plus vastes que leurs maisons. Marduck est le prince de leurs dieux. Il y a aussi Sin, Enlil ou Anu. Ou encore Nâbu. Certains ont l'apparence d'une femme. Ou même sont des femmes. Selon les idolâtres, la plus puissante est Ishtar. Elle a le pouvoir d'aller et de venir dans les mondes obscurs où les humains ne sont que des grains de poussière.
Lemec'h écoutait en montrant le plus grand dégoût. Cela amusait Yaval. Il connaissait l'exécration de notre père pour les idolâtres. Lui qui vivait ici et là sous la tente, lui qui fréquentait à longueur de saison les dévots de Shamash et d'Éa ou les fils d'Enlil était loin d'éprouver la même répugnance. Beaucoup d'idolâtres étaient pour lui des compagnons. Il aimait pousser le bétail avec eux. Se protéger près d'eux des fauves et des vents mortels. Contempler le feu des étoiles dans les cieux du désert en écoutant les femmes chanter, en les regardant danser. Nombreuses aussi, disait-on, étaient celles qui se glissaient sous sa tente. Cette vie plaisait à Yaval, plus que de tourner autour d'Hénoch, plus que d'écouter les plaintes de nos générations. Le temps passant, Yaval ne résistait pas au plaisir d'agacer l'intransigeance de notre père.
Il prononça encore les noms des dieux des idolâtres. Lemec'h fit claquer sa langue :
— Silence, fils ! Tais-toi donc ! Qu'as-tu besoin de souiller nos murs en prononçant ces noms odieux sous le toit d'Élohim ?
Lemec'h le chassa de sous le dais. Il ne voulut plus l'entendre avant qu'il se soit à nouveau lavé la bouche avec les cendres froides de l'autel d'Élohim. Quand Yaval revint, l'envie de railler l'avait quitté. Le visage clos, la voix sèche, il alla droit au but :
— Les idolâtres sont persuadés qu'Hénoch possède d'immenses richesses. Tu as abattu Caïn de ta flèche pour t'en assurer la possession, disent-ils. Ils ne résisteront pas longtemps au plaisir de venir hurler sous tes murs.
Lemec'h ricana :
— Voilà qui ne me surprend pas. Cette richesse qui échauffe les sangs de ces bêtes sauvages, je sais ce qu'elle est : les lames, les pointes et les piques forgées par Tubal à la perfection. Voilà ce qu'ils convoitent.
— Ainsi que la destruction du peuple d'Hénoch, ajouta Yaval.
— Depuis toujours. Depuis le premier pas de notre aïeul Caïn, les idolâtres rêvent de nous voir amoindris. Rien de nouveau, s'amusa encore Lemec'h.
— Mon père, ils pensent que tu es faible. Ils pensent qu'Élohim ne te protège plus. Ils se répètent les paroles d'Awan contre toi en dansant.
— Ah, oui, qu'ils dansent ! Qu'ils dansent ! railla Lemec'h. À quoi d'autre sont-ils bons ?
Le mépris tira ses traits. Une grimace de dédain tordit sa bouche. Yaval ne sut si son père se moquait de lui ou des idolâtres. Il se tut. Lemec'h demanda :
— Se sont-ils décidés pour la guerre ?
— Je le crois.
— Ils s'y préparent ?
— Ils sont prêts, père. C'est pourquoi je suis venu t'avertir.
Plus tard, on me dit que Yaval eut la même grimace que Lemec'h. Leur haine et leur orgueil étaient nés du même sang.
12
Lemec'h réunit les maisonnées d'Hénoch et annonça la guerre :
— Les idolâtres vont venir devant nos murs. Ils ne sont ni courageux ni intelligents. Ils se croient forts parce qu'ils sont en nombre. Ils se trompent. Ce sera leur faiblesse. Nous serons victorieux sans beaucoup d'efforts. Il suffit d'être prêt et confiant dans le pouvoir d'Élohim.
Les hommes d'Hénoch s'attroupèrent autour de
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