Ève
humaine, mais leur chair est transparente et suave comme celles de nos Ancêtres Adam et Ève quand ils vivaient encore dans l'Éden. C'est ce bonheur-là que Beyouria a connu. Celui apporté par un envoyé d'Élohim.
Beyouria balbutia quelques mots, mais si bas que je ne pus les comprendre. Lemec'h dit :
— Retournez dans vos couches.
Puis :
— Adah, conduis-moi.
Je ne vis que les silhouettes de Beyouria et de Noadia revenir dans notre chambre. Ma mère repoussa ma main. Les larmes lui montèrent aux yeux, lourdes et nombreuses.
10
La nouvelle se répandit dans Hénoch : Beyouria allait enfanter comme Ève, notre mère à tous, l'avait fait dans le jardin de l'Éden. Deux fils le même jour entre les mêmes cuisses, selon la volonté d'Élohim !
Du matin au soir, les femmes d'Hénoch venaient devant notre cour et questionnaient :
— Sont-ils là ?
— Beyouria les retient-elle encore ?
— Le sang coule-t-il ?
Le ventre de Beyouria cessa de grossir. Il était énorme. La peur de l'enfantement la reprit. J'aidai Noadia à préparer les linges de la naissance. Adah nous demanda d'en doubler la quantité. Depuis la grande dispute avec Lemec'h, ma mère Tsilah se tenait à l'écart. Le bâton de mon père lui avait laissé le flanc bleui. Elle marchait en se tordant vers la droite, elle dormait peu. Des cernes lui creusaient les yeux. Elle s'assit cependant à son tour près de Beyouria et lui caressa le visage.
— N'aie crainte. C'est moi qui t'ai tirée du ventre de ta mère. Je t'assisterai. S'ils sont deux, comme Adah veut le croire, alors nous serons deux pour les recevoir.
Devant cette douceur inattendue, les yeux d'Adah se mouillèrent.
— Tu n'es pas obligée, sœur Tsilah. Je sais tout le mal que tu éprouves.
— Ne dis pas de sottises ! Je ne ressens rien dont je doive te punir ou punir Beyouria.
La pluie vint. La première depuis six saisons. Avec elle arriva le froid. Les braseros chauffaient à peine les murs. Lemec'h, lui, se montrait plein de joie. Il alla à la rencontre de ceux qui se présentèrent pour avoir des nouvelles en clamant :
— Cette pluie est un don d'Élohim ! Souvenez-vous : au jardin parfait de l'Éden, il a plu pour la première fois après la naissance de Caïn et d'Abel. L'homme est la semence de la terre, même au pays de Nôd. La pluie fait lever les récoltes. Les générations viennent et se multiplient. Le désert sera vert pour saluer les fils de Beyouria. Élohim nous offrira de nouveau les fruits de la terre.
Il ordonna qu'on emporte son brasero près de Beyouria et fit apporter les plus belles fourrures de ses chasses pour recouvrir sa couche.
Le jour où Beyouria poussa les gémissements de l'enfantement, une pluie drue tomba, obscurcissant l'air avant la nuit. Il fallut allumer les torches dans la chambre.
Adah s'était trompée. Si gros que fût le ventre de Beyouria, il n'y eut qu'un cri de vie à en sortir. C'était tout de même celui d'un fils. Il arriva vite, beau et sain. La sueur couvrit le corps de Beyouria, elle frissonna longtemps, à bout de souffle. La douleur passa plus vite qu'elle ne l'avait imaginé. Elle réclama le nouveau-né, le serra contre elle, le baisa mille fois. Adah le lui retira.
— Attend, ce n'est pas fini. Le second va venir.
— Je ne sens rien, dit Beyouria.
Adah s'obstina. Le ventre de Beyouria resta muet.
— Le liquide a coulé, intervint ma mère Tsilah. Il n'en viendra plus.
— On dit que lorsque Ève a enfanté de Caïn, il fallut attendre longtemps pour que naisse son frère Abel, répliqua Adah. Alors attendons. Pas d'impatience.
Lemec'h se présenta sur le seuil. La pluie ruisselait sur lui, entrant jusque dans sa bouche. Pour une fois, il fermait ses yeux blancs. Derrière la tenture du seuil, il demanda :
— Sont-ils là ? Je n'entends plus ma fille Beyouria.
— Un fils est venu, lui dit-on. L'autre pas encore.
Lemec'h repartit devant l'autel d'Élohim. Les braises étaient trempées. Lemec'h fit venir les soufflets de la forge de Tubal pour les attiser. À ses côtés, des hommes les manipulaient. Pourtant, le feu s'éteignait sans cesse. La fumée retombait dans les flaques. Lemec'h ordonna qu'on assemble un toit d'alfalfa sur l'autel pour le protéger. Il réclama à Yaval la graisse et les entrailles d'un nouvel agneau. Le pâtre protesta :
— Le plus jeune de mes agneaux a déjà cinq jours. C'est un second-né. Il n'est pas bon pour
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