Ève
sommes pliés à tous Tes tourments. Élohim, n'est-il pas temps de me débarrasser de ce corps plein de fautes ? N'est-il pas temps que la poussière revienne à la poussière ? » Non. Rien. Une lune, deux lunes, trois lunes. Rien. Élohim ne pardonne pas.
Une nouvelle fois la Grande-Mère Awan s'interrompit.
— Je ne mangeais pas, je ne buvais pas. Mais le souffle de la vie entrait et sortait de ma bouche. J'ai regretté de n'avoir pas conservé la flèche de Tubal qui a percé le cœur de Caïn. Au moins aurais-je pu me l'enfoncer dans la poitrine. Éprouver jusqu'au bout la même douleur que Caïn. Un crépuscule, la patience m'a quittée. J'ai attrapé mon bâton. J'ai voulu hurler : « Élohim, je m'en vais. Les bêtes fauves dans le désert voudront de moi plus que Toi ! ». Mais ma voix n'avait pas servi depuis trop longtemps. Elle était à peine un murmure. J'ai fait dix pas. Comme une enfant. Je ne savais plus marcher. La nuit est tombée plus vite que je n'avançais. Elle m'a frôlée avec une douceur qui m'a fait plier les genoux. J'ai songé : Oh, comme cette nuit ressemble à la brise du matin dans les jardins de l'Éden ! Mille ans que je n'avais pas respiré pareille fraîcheur. J'ai songé : Ah, la volonté d'Élohim me vient enfin !
Son vieux corps fut secoué par un frisson terrible. Le silence se prolongea, insinuant la crainte dans mon cœur, puis la Grande-Mère reprit :
— Je me suis arrêtée. Il faisait si noir que je ne savais où poser les pieds. Je me suis dit : Remercie Élohim et repose-toi en attendant le jour. J'ai voulu m'asseoir. Alors une main m'a saisi la nuque. Une main qui me disait : « Continue, vieille Awan. Tu n'as plus l'âge de t'arrêter. Va droit à Hénoch, là où tu as donné naissance à ton fils et à la première génération des bannis de l'Éden. Le lieu est maudit. Élohim est las des générations qui y grouillent. Il est déçu jusqu'au dégoût par leur comportement. Pas un, pas une pour racheter l'autre. » Je ne fus aucunement surprise. Je connaissais la fureur d'Élohim pour ceux sortis de mon ventre. J'ai voulu demander : « Vais-je au moins rejoindre bientôt Caïn ? » La main ne m'en a pas laissé le temps. Elle s'est serrée un peu plus sur mon cou : « Awan, fille d'Ève, ne perds pas de temps. Va devant la fille de Lemec'h. Dis-lui : “Nahamma, Élohim te sépare des générations de Caïn. Quitte Hénoch et marche vers l'ouest. Élohim y a tracé un chemin pour toi.” Dis-lui ces mots, vieille Awan, ensuite tu trouveras le repos. »
J'étais stupéfaite ! Les paroles d'Awan tombaient sur moi comme des rocs. La Grande-Mère me demanda :
— Me crois-tu, Nahamma ?
— Grande-Mère Awan, je...
— La paume d'Élohim n'a pas menti. Je sens venir le repos.
— Grande-Mère, pourquoi moi ?
— Tu l'apprendras.
— Je ne veux pas rester seule, sans Tsilah ma mère, sans Youval, sans personne ! Que ferai-je toute seule ? Élohim doit m'effacer avec les autres. Je suis pareille à Noadia. Ma faute est aussi grande que la sienne !
Awan ne me répondit pas. Sa main griffa ma tunique. Je suppliai :
— Grande-Mère Awan !
— Le repos me vient, Nahamma. C'est si bon. Oh, que c'est doux !
Ses doigts relâchèrent ma tunique. Sa grande ombre s'allongea sur la murette. Je me levai.
— Grande-Mère ! Grande-Mère, ne veux-tu pas que je t'accompagne sur ma couche ? Tsilah l'a préparée pour toi.
— Non, non. Ici, c'est très bien. Sous l'appentis de la cuisine, c'est très bien. Là où j'ai fait à manger pour Caïn et nos enfants au temps de ma jeunesse. Ne t'inquiète pas. Je vais dormir.
Soudain son souffle n'était plus si lourd ni si râpeux. Sa voix retrouvait ce ton doux et jeune que j'avais entendu la première fois.
J'hésitai. Devais-je rester près d'elle ou l'abandonner à son repos ? Il y avait aussi tant de questions que j'aurais voulu lui poser.
Elle le devina. Dans l'obscurité, elle me fit un signe.
— Va, va, Nahamma. Fais ce qu'on te demande. Ne reste pas à Hénoch. Marche sur le chemin de l'ouest. Ils seront heureux de te recevoir. N'aie crainte.
— Ils ... De qui parles-tu, Grande-Mère ?
— Ma mère Ève, mon père Adam. Ma mère sera tellement étonnée de te voir. Quelle surprise cela va être pour elle.
— Mais, Grande-Mère...
— C'est ce que veut Élohim.
— Pourquoi ?
— Tu le sauras quand Il le souhaitera. Laisse-moi,
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