Ève
empêcha :
— Non, non. Laisse-la partir.
Noadia fixa sa mère.
— Si les idolâtres veulent me prendre pour servante, je m'en moque ! cria-t-elle. S'ils veulent me prendre pour esclave, je m'en moque ! Je ne resterai pas là, comme vous, à attendre la mort !
Elle nous tourna le dos et se mit à courir vers Hénoch.
Je surpris le regard de Tsilah vers Lekh-Lekha. Il secoua doucement la tête. Adah, la bouche pleine de sanglots, gémit :
— Mon enfant, mon enfant, ma pauvre enfant !
Erel vint l'enlacer et mêler ses larmes aux siennes. Adah marmonna encore :
— La colère d'Élohim a commencé ! Il nous prend nos enfants !
Quand la première lueur du soleil commença à teinter le ciel de jaune, Adah perdit patience. Elle s'arracha des bras d'Erel pour courir vers Hénoch. Nous la vîmes chanceler dans les cailloux et la poussière. Ma mère Tsilah dit :
— On ne peut pas la laisser seule.
Arkahana approuva :
— Suivons-la. Approchons-nous d'Hénoch.
Il se tourna vers Erel :
— Kush et les autres sortiront certainement par la porte du Sud, au moins, tu pourras lui dire adieu.
Erel s'accrocha au bras de ma mère Tsilah. Elle avait le visage terreux, les yeux cernés d'ombres épaisses.
— Crois-tu que je devrais le suivre ? Faire comme Noadia ? demanda-t-elle.
— Ô Erel, je ne sais plus où est le bon, où est le mauvais, répondit ma mère. Va là où te conduit ton cœur. Élohim nous a jugés et condamnés. Qui d'autre, parmi nous, osera te juger ?
On marcha vite : la dispute de la nuit était oubliée. Chacun avait le désir de faire ses adieux à ceux qui partaient.
Le vieil Arkahana avait vu juste. À peine approchions-nous de la porte du Sud que Kush apparut à la tête des fuyards.
Noadia allait quelques pas derrière lui. Adah la rejoignit, marchant à distance, sans la quitter des yeux. Erel se précipita vers eux. On l'entendit crier :
— Kush ! Kush ! Pardonne-moi ! Je voudrais partir avec toi, mais je ne le peux pas.
Elle se jeta à genoux et répéta :
— Kush ! Pardonne-moi ! Je ne le peux pas !
Kush hésita, près de franchir les quelques pas qui le séparaient d'Erel, les bras déjà tendus pour la relever. Noadia le poussa brutalement en avant.
— Laisse-la gémir, puisqu'elle ne vient pas.
Dans leurs dos, tout au long de la colonne, les mêmes adieux déchirants, les mêmes suppliques se répétaient. Ici et là, des enfants s'agrippaient aux parents, des couples se reformaient puis se séparaient à nouveau. Quelques partants renonçaient.
Kush se raidit, obéit à Noadia, ignora les pleurs d'Erel et força le pas. Adah se tenait toujours non loin d'eux. Noadia lui fit face :
— Mère, ressaisis-toi, lança-t-elle durement. Viens avec nous ou rentre dans Hénoch.
Le ton de Noadia immobilisa Adah. Elle chancela. Ses mains cherchèrent dans l'air un appui qu'elles ne trouvèrent pas. Ma mère Tsilah se précipita pour la soutenir. J'allai relever Erel. Elle s'agrippa à mon cou, le corps secoué de sanglots.
Nous n'attendîmes pas de voir disparaître les fuyards d'Hénoch. Nous rejoignîmes nos murs. Adah vacillait plus qu'elle ne marchait. Lekh-Lekha aida ma mère à la porter. Ils voulurent la conduire jusqu'à sa couche, mais elle refusa d'entrer dans notre chambre commune. Voir les lits défaits de Noadia et de Beyouria, ses filles disparues, la faisait pleurer de désespoir.
— Je veux aller chez Lemec'h, supplia-t-elle. Là-bas, je pourrai tout maudire.
Erel refusa elle aussi de retourner dans la cour de Kush.
— Autant mourir tout de suite.
Ma mère Tsilah accepta qu'elle s'installe chez nous. Quand Erel se recroquevilla sur ma propre couche, ma mère me fixa avec un regard terrible. Je lus ses pensées : Erel pouvait rester dans cette couche aussi longtemps qu'elle le souhaitait. Je n'en avais plus besoin. Le moment était venu pour moi de partir. La confusion d'Hénoch était à son comble. Personne ne me verrait quitter nos murs.
Je fus saisie d'un tremblement si fort que je claquais des dents. Je me jetai dans les bras de Tsilah.
— Ma mère ! Je n'en ai pas le courage. Pourquoi ne veux-tu pas venir avec moi ? Demande à Lekh-Lekha de nous accompagner. Lui, il connaît le chemin, il saura nous défendre...
— Non, non, Nahamma ! Cela serait mauvais pour toi. Je dois rester ici. La Grande-Mère Awan n'a pas dit autre chose.
Pourtant, elle aussi tremblait. Son ton n'était pas
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