Ève
soit né !
— Aussi, qu'avais-tu besoin de te faire engrosser par Kush ? lui répliqua Tsilah d'une voix lasse et emplie d'amertume. N'ai-je pas répété assez haut qu'il vous fallait refuser votre ventre aux hommes ? Se laisser engrosser, c'était procréer pour la malédiction. Certainement, la colère d'Élohim n'en serait que plus terrible.
À travers ses larmes, Hanina laissa éclater sa colère :
— La malédiction, le châtiment, la colère, le mal ! Nous n'entendons plus que ces mots. La Grande-Mère Awan est revenue pour nous condamner et nous ne savons pas pourquoi. « Élohim ne veut plus de vous ! Élohim va vous effacer de la Terre ! » Et pourquoi ? Quelle est notre faute, à nous, les femmes ? Avons-nous tenu les piques ? Avons-nous tendu les arcs ? Avons-nous choisi ceux qui viennent dans nos couches et ceux qui en naissent ? Quelle est notre faute ? Pourquoi Élohim nous traite-t-Il comme des moins-que-rien ? Qu'Il vienne devant nous désigner notre faute !
Les mots d'Hanina résonnèrent un instant dans la cour, puis une vieille femme se leva. Elle s'appelait Zimrah et n'avait plus ni fils ni époux depuis longtemps. La solitude l'avait rendue si acariâtre que chacun l'évitait. Les yeux brillants de haine, elle pointa un doigt sur ma mère Tsilah :
— La faute, c'est la tienne, Tsilah. Ton fils Tubal a fondu les armes, ton époux Lemec'h a voulu la guerre. Le bronze de Tubal est entré dans la poitrine de Caïn. Il est entré dans celle de Beyouria et a tranché son rejeton. Il est entré dans la poitrine d'Adah. La faute, elle vient par toi, Tsilah. Elle vient par ton sang. Il ne te reste plus que Nahamma. Elle aussi va transmettre le mal. Vous devez quitter Hénoch pour purifier nos murs. Allez donc affronter Élohim dans le désert, comme l'a fait Lemec'h !
— Zimrah ! Vieille folle. Tais-toi donc et va te laver la bouche !
Arkahana s'était dressé, livide.
— Lekh-Lekha a raison, vous devenez tous fous !
Tsilah eut un geste pour l'apaiser.
— Laisse, Arkahana. Zimrah dit la vérité. Elle me ronge le cœur depuis longtemps. Qui me pardonnera, si Élohim ne le peut ?
Le désespoir et l'accablement déformaient le visage de ma mère. Je n'y tins plus. Je me levai, la face en feu, la voix tremblante :
— Le soir de son retour, la Grande-Mère Awan a voulu me parler...
Ma mère Tsilah se redressa d'un bond :
— Non, Nahamma ! Tu ne dois pas !
Arkahana lui agrippa le poignet :
— Laisse-la donc, Tsilah ! Fille, que t'a dit la Grande-Mère ?
Tous me fixaient. Le regard de ma mère m'incendiait.
— La Grande-Mère m'a exposé ce qui allait advenir, repris-je aussi fermement que je le pus. Je lui ai demandé : « Pourquoi ? Pourquoi ? » Elle m'a dit : « Pour les questions et les réponses, il faut aller sur le chemin de l'ouest. Il faut sortir du pays de Nôd et aller devant mon père Adam, devant ma mère Ève. Il faut les consulter. Eux seront contents de vous voir et sauront vous parler. »
Il y eut un grondement de surprise et d'excitation. Je vis le soulagement sur le visage de ma mère. Peut-être même l'esquisse d'un sourire.
Je m'enhardis :
— Kush avait raison. À quoi bon rester dans Hénoch ? Mais ce n'est pas vers les idolâtres qu'il faut aller. Marchons vers l'ouest.
Aussitôt, la vieille Zimrah s'écria :
— N'écoutez pas cette fille ! Elle est de l'engeance de sa mère. Sa bouche est celle du serpent. Elle veut nous attirer hors d'Hénoch et nous livrer aux griffes des démons.
Arkahana gronda :
— N'as-tu pas honte de tes pensées, vieille folle ?
— Tais-toi donc, Arkahana, valet de Lemec'h ! répliqua Zimrah. Tes mots ne sont que du vent.
La dispute s'enflamma. Quand Zimrah se calma un peu, Hanina dit :
— Nous n'y arriverons pas. Jamais nous ne sommes allés vers l'ouest. Nous ne connaissons pas les chemins. Nous nous perdrons.
— Les idolâtres nous prendront et nous violeront, ajouta Erel. Nous ne serons jamais assez fortes pour nous défendre.
— Lekh-Lekha saura nous conduire et nous protéger, dis-je d'une voix assurée. Il connaît le désert et les fauves.
Lekh-Lekha ne protesta pas. Il m'adressa seulement un coup d'œil étonné.
— Et qu'en sais-tu, fille de Lemec'h, si les Ancêtres sont toujours vivants ? demanda quelqu'un. Comment sauras-tu les trouver ?
Arkahana répondit à ma place :
— Élohim décidera de notre sort.
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