Ève
la perfection ces deux fleuves longeaient l'Éden. Aujourd'hui, si l'on marche quatre jours vers le sud, on voit Gihon et Sihon s'assembler pour former un fleuve plus colossal encore. Si on le longe le temps d'une lune, on voit un autre fleuve le grossir. Celui-là, on le nomme Euphrate. Si l'on marche la moitié d'une vie vers le nord, on trouve encore fleuve. Si vaste que la terre cesse et que l'on ne voit plus la rive opposée. Celui-ci s'appelle Tigre. C'est entre ces quatre fleuves que YHVH avait étendu l'Éden.
Yohanan le remercia de cet enseignement avec humilité. Seth soupira :
— Aujourd'hui, ce Sihon qui vous emportait est infesté d'idolâtres. La pêche y est mauvaise, les poissons petits et immangeables. Ils possèdent plus d'arêtes que de chair. Ici, le Gihon est pur. Ici, on ne pousse pas une arche dans l'eau sans être sous le regard de YHVH. Quand Il le veut, nous revenons avec des couffins pleins de poissons gras.
— Alors, demanda imprudemment Yohanan, pourquoi te trouvais-tu là-bas, sur ce fleuve infesté d'idolâtres ?
La voix de Seth devint ironique :
— YHVH m'y avait envoyé pour me montrer combien la pêche y est mauvaise. Ce qui fut, puisque je vous ai trouvés, vous, gens d'Hénoch, braillant et impuissants.
Non loin de la berge du fleuve, un long mur de brique apparut devant nous. Il entourait des habitations dispersées, ainsi que cela semblait être la coutume dans ce pays. Lorsque nous n'en fûmes plus qu'à deux portées de flèche, une corne de bélier retentit. Des femmes et des enfants apparurent. Nous comprîmes que nous étions arrivés.
Seth envoya son fils Noah devant nous. Il attendit qu'il fasse rentrer tout le monde dans une cour pour nous y mener à notre tour.
Dès que nous en franchîmes le seuil, une sensation oppressante me serra la nuque. J'avais attendu ce moment avec tant d'impatience ! J'avais tant rêvé de voir des visages heureux nous accueillir !
C'était tout le contraire qui advenait.
Le silence régnait. Et le vide.
Pas un visage, pas un salut de bienvenue. Noah lui-même semblait avoir disparu avec ceux qu'il avait
prévenus de notre arrivée.
Seth conduisit « ceux d'Hénoch » dans une pièce basse à l'écart qui servait d'entrepôt. Le sol était recouvert de brins d'alfalfa et de vieux tessons de jarre. Dans un recoin pendaient des poissons séchés. Ça empestait.
Avec un grognement de dégoût, Lekh-Lekha s'éloigna du seuil sans le franchir. Yohanan s'écria :
— Veut-on nous faire dormir là-dedans ? Autant nous jeter dans un cloaque !
— Impossible ! renchérit Erel après s'être approchée. J'en vomirais le fils que je porte.
À quelques pas, Seth les observait sans mot dire.
Les joues rouges de colère, ma mère Tsilah lui fit face :
— Que ton hospitalité te fasse honte, fils d'Adam. Il te plaît de nous humilier, mais tu n'es ni Élohim ni YHVH. Alors, de quel droit t'en arroges-tu le pouvoir ? Nous sommes venus jusqu'ici humblement. Toi, tu n'es qu'arrogance. Prends garde, Élohim saura te juger !
— Femme de Lemec'h, lave ta bouche ! Ici, tu ne vaux pas mieux qu'une idolâtre. Cela fait mille ans que vous n'êtes plus les fils et les filles de YHVH ! Si la cour de Seth ne vous convient pas, repassez mon mur. Allez dormir sur les cailloux du fleuve Gihon. Ils seront bien assez doux pour vous. Ici, personne ne vous plaindra.
— Il a raison, s'écria aussitôt Yohanan en entraînant Hanina. Suivez-nous. Ne restons pas là un seul instant de plus. À quoi bon écouter ce frère de Caïn ? Non, ses mains ne sont pas couvertes du sang du meurtre. Mais sa langue, même si elle été conçue par Ève, notre Mère à tous, est pâteuse de haine ! Nous, ceux d'Hénoch, nous ne voulons plus l'entendre !
Il y eut une bousculade, chacun reprenant ses baluchons. Je voulus les suivre. Seth se précipita vers moi :
— Non, toi, tu restes ici !
Son geste me parut menaçant. Je me réfugiai derrière Lekh-Lekha, qui leva aussitôt son arc. Avant même qu'il puisse en tendre la corde, Seth le lui arracha des mains.
— Allons donc ! Pas de ça ici. Tu n'es plus au pays de Nôd !
Ma mère Tsilah me poussait et m'enlaçait tout à la fois :
— Nahamma ! Seth a raison. Va avec lui. Tu l'as promis à la Grande-Mère Awan...
Yohanan s'écria :
— Que dis-tu ?
Hanina demanda :
— Tsilah ! Que nous as-tu caché ?
— Qu'as-tu de si spécial ? me demanda An-Kahana,
Weitere Kostenlose Bücher