Excalibur
avait changé
sa cape blanche pour une rouge, mais c’était le même vêtement, si éclaboussé de
sang qu’il en semblait teint. Il m’étreignit puis, passant un bras autour de
mes épaules, m’emmena dans l’espace qui séparait les adversaires. Je me
souviens qu’il y avait là un cheval mourant et des cadavres, ainsi que des
armures abandonnées et des armes brisées. « Ton père ne veut pas se
rendre, mais je pense qu’il t’écoutera. Dis-lui que nous le ferons forcément
prisonnier, mais qu’il gardera son honneur et pourra vivre confortablement. Je
lui promets aussi d’épargner la vie de ses hommes. Il lui suffira de me donner
son épée. » Il regarda les Saxons vaincus, acculés et que nous surpassions
en nombre. Ils demeuraient silencieux. À leur place, nous aurions chanté, mais
ces lanciers-là attendaient la mort dans un silence total. « Dis-leur,
Derfel, qu’il y a eu assez de carnage. »
Je détachai
Hywelbane, la posai par terre avec mon bouclier et ma lance, puis allai
affronter mon père. Aelle semblait épuisé, brisé et blessé, pourtant il vint à
ma rencontre en boitillant, la tête haute. Il n’avait pas de bouclier, mais
tenait une épée dans sa main droite mutilée. « Je me suis douté qu’on t’enverrait
chercher », grommela-t-il. Le fil de son arme était profondément ébréché
et la lame couverte de sang séché. Il fit, avec elle, un geste brusque quand je
commençai à lui décrire l’offre d’Arthur. « Je sais ce qu’il veut de moi,
dit-il en m’interrompant, il veut mon épée, mais je suis Aelle, le Bretwalda de
Bretagne, et je ne la livrerai pas.
— Père...
— Appelle-moi
Roi ! » gronda-t-il férocement.
Son défi m’arracha
un sourire et je m’inclinai. « Seigneur Roi, nous offrons la vie à tes
hommes, et nous... »
De nouveau, il
me coupa la parole. « Quand un homme succombe dans la bataille, il part
pour un pays bienheureux. Mais pour gagner ce grand manoir de festoiement, il
doit mourir sur ses pieds, l’épée à la main, avec des blessures reçues de face. »
Il se tut et, quand il reprit la parole, sa voix était bien plus douce. « Tu
ne me dois rien, mon fils, mais je le prendrais comme une courtoisie de ta part
si tu voulais bien m’assurer ma place à ce festin.
— Seigneur
Roi... dis-je, mais il m’interrompit pour la quatrième fois.
— Puis l’on
m’enterrerait ici, les pieds tournés vers le nord, mon épée à la main. Je ne
demande rien de plus. » Il se retourna vers ses hommes et je vis qu’il
pouvait à peine tenir debout. Il devait être grièvement blessé, mais le grand
manteau d’ours dissimulait sa blessure. « Hrothgar ! Donne ta lance à
mon fils ! » Un jeune Saxon sortit du mur de boucliers et, docilement,
me tendit son arme. « Prends-la ! » me dit Aelle d’un ton
brusque, et j’obéis. Hrothgar me lança un regard inquiet, puis se hâta de
rejoindre ses compagnons.
Aelle ferma
les yeux un instant et une grimace contracta son visage sévère. Il était pâle
sous la crasse et la sueur, et soudain il grinça des dents, une autre douleur
fulgurante le traversa comme un fer rouge, mais il lui résista et tenta même de
sourire lorsqu’il s’avança pour m’embrasser. Il s’appuya de tout son poids sur
mes épaules ; son souffle faisait un bruit rauque dans sa gorge. « Je
pense, me dit-il à l’oreille, que tu es le meilleur de mes fils. Maintenant,
fais-moi un cadeau. Donne-moi une bonne mort, Derfel, car j’aimerais me rendre
à la salle du festin des vrais guerriers. » Il recula d’un pas pesant,
appuya son épée contre sa jambe puis, laborieusement, détacha les liens de cuir
de sa cape de fourrure. Elle tomba et je vis que tout son côté gauche était
trempé de sang. Il avait reçu un coup de lance sous son plastron, pendant qu’un
autre s’enfonçait dans son épaule, réduisant son bras gauche à l’immobilité, si
bien qu’il dut utiliser sa main mutilée pour défaire les lanières de cuir qui
maintenaient sa cuirasse à la taille et sur ses épaules. Il tripotait maladroitement
les boucles, mais lorsque je m’avançai pour l’aider, il me fit signe de
reculer. « Je te rends la chose plus facile, mais quand je serai mort,
remets le plastron sur mon cadavre. J’aurai besoin de l’armure au manoir du
festin, car on s’y bat beaucoup. On s’y bat, on y festoie et... », il se
tut, martyrisé une fois de plus par la douleur. Il grinça des
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