Excalibur
règne, et nous tuâmes
ainsi jusqu’à ce que nos bras soient trop las pour soulever une épée, et quand
le massacre fut accompli, nous nous retrouvâmes dans un marais de sang ; c’est
alors que nos hommes découvrirent la bière et l’hydromel dans les bagages
saxons, et la beuverie commença. Quelques Saxonnes vinrent se mettre sous la
protection de ceux qui étaient restés sobres et portaient de l’eau de la rivière
à nos blessés. Nous cherchâmes des amis qui avaient survécu et les étreignîmes,
nous en vîmes qui étaient morts et nous les pleurâmes. Nous connûmes le délire
de la victoire, nous partageâmes nos larmes et nos rires et certains, tout
fourbus qu’ils étaient, dansèrent de joie.
Cerdic s’échappa.
Ses gardes du corps et lui se taillèrent un chemin dans le chaos et gravirent
les collines, à l’est. Des Saxons traversèrent la rivière à la nage, tandis que
d’autres suivirent Cerdic, quelques-uns firent les morts puis s’enfuirent durant
la nuit, mais la plupart restèrent dans la vallée, au pied du Mynydd Baddon, et
y sont encore aujourd’hui.
Car nous
avions gagné. Nous avions transformé en abattoir les champs bordant la rivière.
Nous avions sauvé la Bretagne et accompli le rêve d’Arthur. Nous étions les
rois du carnage, les seigneurs des morts, et nous lançâmes vers le ciel des
hurlements de triomphe sanguinaire.
Car la
puissance des Saïs était brisée.
TROISIÈME PARTIE LA MALÉDICTION DE NIMUE
La reine
Igraine, assise à ma fenêtre, lisait les dernières feuilles du parchemin et ne
disait rien, sauf pour me demander parfois le sens d’un mot saxon. Elle
parcourut rapidement le récit de la bataille puis, écœurée, jeta les feuillets
sur le sol. « Qu’est-il arrivé à Aelle ? demanda-t-elle, d’un air
indigné, ou à Lancelot ?
— J’en
viendrai à leurs fortunes, Dame. » Assis à mon bureau, je maintenais une
plume d’oie sous le moignon de mon poignet gauche et la taillais avec un
couteau. Je fis tomber les copeaux en soufflant dessus. « Chaque chose en
son temps.
— Chaque
chose en son temps ! se gaussa-t-elle. Tu ne peux pas laisser une histoire
inachevée, Derfel !
— Elle
aura une fin, je te le promets.
— Il en
faut une tout de suite, insista ma reine. C’est ça, l’intérêt des histoires. La
vie n’a pas de dénouements clairs et nets, alors les récits doivent en avoir. »
Elle est énorme maintenant, car la grossesse arrive à son terme. Je vais prier
pour Igraine ; elle en aura bien besoin, car trop de femmes meurent en mettant
un enfant au monde. Les vaches ne souffrent pas ainsi, ni les chattes, ni les
chiennes, ni les truies, ni les brebis, ni les renardes, aucune femelle, sauf
celles de l’espèce humaine. Sansum dit que c’est parce qu’Eve a cueilli la
pomme au jardin d’Éden et ainsi enfiellé notre paradis. Les femmes sont la
punition que Dieu inflige aux hommes, et les enfants, celle infligée aux
femmes, voilà ce que prêche le saint. « Alors, qu’est-il arrivé à Aelle ?
demanda sévèrement Igraine quand je ne répondis pas à sa remarque.
— Il est
mort d’un coup de lance. Qui l’a frappé là. » Je tapotai mes côtes juste
au-dessus du cœur. L’histoire était plus longue, mais je n’avais pas envie de
la lui raconter tout de suite, car je prenais peu de plaisir à me remémorer la
mort de mon père, même si je sais qu’il me faut la coucher par écrit afin que
le récit soit complet. Arthur avait laissé ses hommes piller le camp de Cerdic
et était revenu voir si les chrétiens de Tewdric en avaient terminé avec l’armée
cernée d’Aelle. Il trouva le reste de ces Saxons-là battus, saignants et
mourants, mais toujours intraitables. Aelle lui-même, blessé, ne pouvait plus
tenir un bouclier, mais ne voulait pas se rendre. Entouré de ses gardes et de
ses derniers lanciers, il attendait que les soldats de Tewdric viennent l’achever.
Les lanciers
du Gwent rechignaient à attaquer. Un ennemi acculé est dangereux, et si son mur
de boucliers est toujours intact, il est doublement dangereux. Beaucoup trop d’entre
eux étaient morts, déjà, dont le bon vieil Agricola, et les survivants ne
voulaient pas affronter une fois encore les boucliers saxons. Arthur n’a pas
insisté, il est allé parlementer avec Aelle et, comme celui-ci refusait de se
rendre, il m’a fait venir. Je crus, lorsque je le rejoignis, qu’il
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