Excalibur
un lâche et qu’il méritait d’être tué, mais sa terreur était si
abjecte que je le plaignais. Il avait toujours été mon ennemi, il m’avait
toujours méprisé, cependant lorsqu’il tomba à genoux devant moi et que les
larmes roulèrent sur ses joues, j’éprouvai l’envie irrésistible de lui faire
miséricorde, et compris qu’il y aurait autant de plaisir à prouver ainsi mon
pouvoir qu’à le mettre à mort. Durant un battement de cœur, je désirai sa
gratitude, puis je me souvins du visage mourant de ma fille et un frisson de
rage me fit trembler. Arthur s’était gagné une renommée de miséricordieux, mais
cet ennemi était le seul auquel je ne pourrais jamais pardonner.
« Une
mort de femme, suggéra de nouveau Issa.
— Non. »
Lancelot me regarda avec un espoir renaissant. « Pends-le comme un
vulgaire félon. »
Lancelot
hurla, mais j’endurcis mon cœur. « Pends-le », ordonnai-je de
nouveau, et c’est ce que nous fîmes. Nous trouvâmes une corde de crin que nous
passâmes sur la branche d’un chêne et nous le hissâmes par le cou. Ainsi
suspendu, il gigota et continua à le faire jusqu’à ce que Galahad revienne et tire
sur les chevilles de son demi-frère pour mettre fin à sa terrible suffocation.
Nous dénudâmes
le cadavre. Je jetai l’épée et la belle armure à écailles de Lancelot dans la
rivière, brûlai ses vêtements, puis avec une grosse hache saxonne je démembrai
son corps. Il n’eut pas de bûcher funéraire, mais fut jeté aux poissons afin
que son âme sombre ne gâte pas l’Autre Monde de sa présence. Nous l’effaçâmes
de la surface de la terre et je ne gardai que le ceinturon émaillé qu’il tenait
d’Arthur.
Je rencontrai
celui-ci à midi. Ses hommes et lui redescendaient dans la vallée sur des
chevaux fourbus. « Nous n’avons pas rattrapé Cerdic, me dit-il, mais
quelques autres. » Il tapota le cou blanc de sueur de Llamrei. « Cerdic
vit, Derfel, mais il est si affaibli qu’il ne constituera plus un danger pour
longtemps. » Il sourit, puis vit que je ne partageais pas son humeur
joyeuse. « Qu’y a-t-il ?
— Juste
ceci, Seigneur », et je lui tendis la luxueuse ceinture émaillée.
Un moment, il
crut que je lui montrais une pièce de mon butin, puis reconnut le ceinturon qu’il
avait donné à Lancelot. Durant un battement de cœur, son visage reprit l’expression
qu’il avait eue durant tant de mois, un air dur, fermé, plein d’amertume, enfin
il me regarda dans les yeux. « Son propriétaire ?
— Mort,
Seigneur. Pendu dans la honte.
— Bien,
répondit-il calmement. Et cette chose, Derfel, tu peux la jeter. » Je la
lançai dans la rivière.
Ainsi mourut
Lancelot, même si l’on continue à chanter les ballades pour lesquelles il avait
distribué tant d’argent, et encore aujourd’hui, on le célèbre en héros égal à Arthur.
On se souvient de ce dernier comme d’un chef, mais Lancelot est appelé « le
guerrier ». En vérité, ce fut un roi sans terre, un couard et le plus
grand traître de Bretagne ; son âme hante toujours le Llœgyr, réclamant à
grands cris son corps-ombre qui ne pourra jamais exister puisque nous avons
démembré son cadavre et l’avons jeté à la rivière. Si les chrétiens ont raison,
s’il y a un enfer, puisse-t-il y brûler à jamais.
*
Galahad et moi
suivîmes Arthur jusqu’à la cité, passant devant le bûcher funéraire sur lequel
brûlait Cuneglas et nous faufilant entre les tombes romaines parmi lesquelles
tant d’hommes d’Aelle étaient morts. J’avais averti Arthur de ce qui l’attendait,
mais il ne montra aucun désarroi lorsqu’il apprit qu’Argante était là.
L’arrivée d’Arthur
à Aquae Sulis incita des douzaines de pétitionnaires inquiets à réclamer son
attention à cor et à cri. Ils exigeaient que leurs actes de bravoure soient
reconnus, ou réclamaient leurs parts des esclaves ou de l’or, ou bien demandaient
justice dans des différends précédant de beaucoup l’invasion saxonne ;
Arthur leur dit de le suivre dans le temple, bien qu’une fois là, il les
ignorât. Il convoqua Galahad dans une antichambre puis, au bout d’un moment,
envoya chercher Sansum. L’évêque fut conspué par les guerriers de Dumnonie
lorsqu’il traversa l’enclos à la hâte. Il s’entretint longtemps avec Arthur,
puis la présence d’Œngus Mac Airem et de Mordred fut requise. Les lanciers
présents dans le sanctuaire pariaient
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