Excalibur
une frontière, et pour la
garder, nul ne vaut le Numide. Ce qui reste de l’armée de Dumnonie jurera fidélité
à un autre homme que le roi. Mordred gouvernera en tant que souverain, mais il
n’aura pas de lances, et un homme sans lances n’a pas de réel pouvoir. Sagramor
et toi le détiendrez.
— Non ! »
Guenièvre
sourit. « Arthur savait que tu répondrais cela, c’est pourquoi j’ai dit
que je te persuaderais.
— Dame...
commençai-je à protester, mais elle leva la main pour me faire taire.
— Tu
gouverneras la Dumnonie, Derfel. Mordred sera roi, mais tu auras les lances, et
l’homme qui commande aux lances gouverne. Il faut que tu le fasses pour Arthur,
car il ne pourra quitter la Dumnonie la conscience tranquille que si tu
acceptes. Alors, donne-lui la paix, fais-le pour lui et, peut-être... - elle hésita
– pour moi ? Je t’en prie ? »
Merlin avait
raison. Ce que femme veut, elle l’obtient.
Et ce fut à
moi de gouverner la Dumnonie.
Taliesin
composa une ballade en l’honneur du Mynydd Baddon. Il la fit exprès à l’ancienne
mode, dans une versification simple qui vibrait de drame, d’héroïsme et de
grandiloquence. C’était un très long chant, car il fallait attribuer au moins
un demi-vers louangeur à chaque guerrier valeureux, et nos chefs avaient droit
à une strophe entière. Après la bataille, Taliesin rejoignit la maisonnée de
Guenièvre et rendit judicieusement son dû à sa protectrice en décrivant à
merveille les chariots dévalant la pente à toute allure avec leur chargement en
feu ; mais il évita toute allusion au sorcier saxon qu’elle avait tué d’une
flèche. Il compara ses cheveux roux à l’orge mûre trempée de sang dans laquelle
mouraient les Saxons, et bien que je n’aie vu aucune tige d’orge sur le champ
de bataille, cette image était une trouvaille. Il fit de la mort de Cuneglas,
son ancien protecteur, un chant funèbre lent dans lequel le nom du roi mort revenait
comme un roulement de tambour, et de la charge de Gauvain il tira un récit à
donner la chair de poule de l’assaut livré à l’ennemi par les âmes spectrales
de nos lanciers morts, venus du pont des épées pour l’attaquer par le flanc. Il
fit la louange de Tewdric, se montra gentil envers moi et rendit honneur à Sagramor,
mais par-dessus tout, sa ballade fut une célébration d’Arthur. Arthur qui
inonda la vallée du sang saxon, Arthur qui tua le roi ennemi, Arthur qui fit
trembler tout le Llœgyr de terreur.
Les chrétiens
détestèrent la ballade de Taliesin. Ils composèrent leurs propres chants dans
lesquels c’était Tewdric qui battait les Saxons. Le Seigneur Dieu
Tout-Puissant, y proclamaient-ils, avait entendu les supplications de Tewdric
et envoyé l’armée céleste sur le champ de bataille, où Ses anges avaient
combattu les Saïs avec leurs épées de feu. Arthur en était absent, aucun crédit
n’était accordé aux païens dans la victoire, et aujourd’hui encore, il y a des
gens qui déclarent que notre chef n’était même pas présent au Mynydd Baddon. Un
chant chrétien attribue la mort d’Aelle à Meurig, alors que ce dernier n’était
pas là, mais chez lui, dans le Gwent. Après la bataille, il récupéra le trône
et Tewdric retourna dans son monastère où il fut déclaré saint par les évêques
du pays.
Arthur était
beaucoup trop occupé cet été-là pour prêter attention aux chansons ou aux
saints. Dans les semaines qui suivirent la bataille, nous reprîmes d’immenses
parties du Llœgyr, mais pas tout, et nombre de Saxons restèrent en Bretagne.
Plus nous allions dans l’est, plus leur résistance devenait opiniâtre aussi, à
l’automne, l’ennemi fut parqué dans un territoire qui ne faisait que la moitié
de celui qu’il possédait précédemment. Cerdic nous paya tribut cette année-là,
et promit de faire de même pendant dix ans, mais il ne tint pas parole. Au
contraire, il accueillit chaque bateau qui franchissait la mer et reconstitua
lentement ses forces.
Le royaume d’Aelle
fut divisé. La partie méridionale revint à Cerdic, alors que le nord se morcela
en trois ou quatre petits royaumes pillés sans merci par l’Elmet, le Powys et
le Gwent. Les milliers de Saxons qui résidaient dans les nouveaux territoires
de la Dumnonie orientale vinrent ainsi se ranger sous la domination bretonne.
Arthur voulait que nous repeuplions ce pays, mais peu de Bretons étaient prêts
à s’y
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