Excalibur
fut Œngus Mac Airem qui y faisait des incursions pour se procurer de la
nourriture et des esclaves. Les chefs de clan se querellaient et payaient de
mauvaise grâce leurs impôts au Gwent et au Powys ; l’arrivée d’Arthur
changea tout. Que cela lui plût ou non, il devint l’habitant le plus important
de la Silurie, son véritable chef et, en dépit de son désir déclaré d’être un
homme ordinaire, il ne put s’empêcher d’utiliser ses lanciers pour mettre fin
aux chamailleries ruineuses des chefs de clan. Une année après la victoire du
Mynydd Baddon, la première fois que nous rendîmes visite à Arthur et à
Guenièvre, il s’attribuait lui-même, avec une ironie désabusée, un titre romain,
celui de gouverneur, qui lui plaisait car il ne comportait aucune connotation
monarchique.
Isca était une
belle ville. Les Romains y avaient d’abord construit un fort pour garder la
traversée de la rivière, mais lorsqu’ils envoyèrent leurs légions plus loin à l’ouest
et au nord, la nécessité de cette forteresse disparut et ils transformèrent Isca
en une cité qui ressemblait quelque peu à Aquae Sulis, et où ils se rendaient
pour se distraire. Elle était pourvue d’un amphithéâtre et, bien qu’elle
manquât de source d’eau chaude, elle se glorifiait de compter six thermes,
trois palais et autant de temples que Rome comptait de Dieux. Maintenant, la
ville était fort délabrée, mais Arthur restaurait le tribunal et les autres édifices,
activité qui lui apportait toujours de grandes satisfactions. Le plus vaste des
palais, celui que Lancelot avait habité, fut attribué à Culhwch, devenu
commandant de la garde d’Arthur, et la plupart de ses hommes y logèrent avec
lui. Emrys devenu évêque d’Isca s’attribua la seconde des plus prestigieuses demeures.
« Il ne pouvait pas rester en Dumnonie », me dit Arthur lorsqu’il me
fit visiter la ville, une année après la bataille du Mynydd Baddon. » Là-bas,
il n’y a pas place à la fois pour lui et pour Sansum, expliqua-t-il, aussi
Emrys est-il venu m’aider. Il adore les tâches administratives et, surtout, il
tient à distance les chrétiens de Meurig.
— Tous ? »
— La plupart.
Et c’est un bel endroit, Derfel, dit-il avec le sourire en regardant les rues
pavées d’Isca, un bel endroit ! » Il était ridiculement fier de sa
nouvelle ville et proclamait que la pluie y tombait moins souvent que sur la
campagne environnante. « J’ai vu les collines couvertes de neige alors qu’ici,
le soleil brillait sur l’herbe verte.
— Oui,
Seigneur, acquiesçai-je avec un sourire.
— C’est
vrai, Derfel ! Vrai ! Quand je sors d’Isca à cheval, j’emporte une
cape et arrive un moment où, soudain, la chaleur diminue et il faut se couvrir.
Tu verras, quand on ira chasser demain.
— On
dirait de la magie, dis-je pour le taquiner car, normalement, il méprisait ce
sujet de conversation.
— C’en
est peut-être ! » répliqua-t-il très sérieusement et il me conduisit
dans une ruelle qui longeait le grand sanctuaire chrétien ; elle
débouchait sur un curieux tertre qui s’élevait au centre de la ville. Un
sentier montait en spirale jusqu’au sommet où les anciens avaient creusé un
trou peu profond contenant une multitude de petites offrandes aux Dieux, des
bouts de ruban, des mèches de toison de mouton, des boutons, preuves que les
missionnaires de Meurig, tout zélés qu’ils fussent, n’avaient pas totalement
éradiqué l’ancienne religion. « S’il y a de la magie ici, me dit Arthur
quand nous eûmes grimpé jusqu’en haut et regardé dans le trou, c’est de là qu’elle
jaillit. Les gens du pays disent que c’est une porte sur l’Autre Monde.
— Et tu
les crois ?
— Je sais
seulement que c’est un endroit béni », dit-il, et Isca en était bien un en
cette fin d’été. La marée montante avait gonflé la rivière qui submergeait les
berges vertes, le soleil brillait sur les murs blancs des édifices et sur les
arbres feuillus qui poussaient dans les cours, alors qu’au nord les petites
collines et leurs fermes animées se déployaient paisiblement jusqu’aux
montagnes. On avait du mal à croire que, peu d’années auparavant, une incursion
saxonne s’y était rendue pour massacrer les fermiers, emmener les femmes et les
enfants en esclavage et brûler les récoltes. Ce raid avait eu lieu sous le
règne d’Uther et Arthur avait réussi à repousser l’ennemi si
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