Excalibur
loin qu’on avait l’impression,
en cet été et en beaucoup d’autres à venir, qu’aucun Saxon libre ne reviendrait
jamais à proximité d’Isca.
Le plus petit
palais de la ville se dressait à l’ouest du tertre et c’était là que vivaient
Guenièvre et Arthur. Du lieu élevé où nous nous tenions, le regard plongeait
dans la cour où se promenaient nos épouses et, visiblement, c’était Guenièvre
qui monopolisait la parole. « Elle projette de marier Gwydre et Morwenna,
me dit Arthur. Comme prévu, ajouta-t-il avec un bref sourire.
— Ma
fille est mûre pour cela », dis-je avec ferveur. Morwenna avait toujours
été gentille, mais ces derniers temps, elle se montrait lunatique et irritable.
Ceinwyn m’assurait qu’il ne s’agissait que des symptômes révélant qu’une jeune
fille était mûre pour le mariage, et moi, en tout cas, j’accueillerais le remède
avec reconnaissance.
Arthur s’assit
sur le bord herbu du tertre et regarda fixement vers l’ouest. Ses mains,
remarquai-je, étaient constellées de petites cicatrices noirâtres dues au
fourneau de la forge qu’il s’était aménagée dans la cour des écuries de son
palais. Cette industrie l’avait toujours intrigué et il pouvait en parler avec
enthousiasme pendant des heures. Mais il avait, pour le moment, d’autres sujets
à cœur. « Est-ce que cela t’ennuierait qu’Emrys bénisse le mariage ?
— Pourquoi
cela m’ennuierait-il ? » J’aimais bien Emrys.
« Il n’y
aurait que l’évêque. Pas de druide. Tu comprends, Derfel, c’est au bon plaisir
de Meurig que je dois de vivre ici. Après tout, c’est lui, le roi de ce pays.
— Seigneur... »
J’allais protester, mais il me fit taire en levant la main, et je refrénai mon
indignation. Je savais que le jeune roi Meurig n’était pas un voisin facile. Il
nous en voulait d’avoir été obligé de rendre temporairement le pouvoir à son
père, de ne pas avoir pris part à la glorieuse victoire du Mynydd Baddon, et il
nourrissait une jalousie maussade à l’égard d’Arthur. Le territoire gwentien de
Meurig ne commençait qu’à quelques mètres de ce tertre, à l’extrémité du pont
romain qui enjambait la rivière Usk, et cette partie orientale de la Silurie
lui appartenait en toute légalité.
« C’est
Meurig qui a souhaité que je vienne vivre ici comme son tenancier, expliqua
Arthur, mais c’est Tewdric qui m’a accordé le droit de percevoir l’ancien
fermage royal. Lui, du moins, nous est reconnaissant de ce que nous avons fait
au Mynydd Baddon, mais je doute fort que son fils approuve cet arrangement,
aussi je l’apaise en affichant une allégeance au christianisme. » Il
singea le signe de croix et me fit une grimace d’auto-dérision.
« Tu n’as
pas besoin de ménager Meurig, dis-je avec colère. Donne-moi un mois et je
traînerai ce misérable chien ici, sur les genoux. »
Arthur rit. « Une
autre guerre ? Non. Meurig est peut-être un imbécile, mais il n’a jamais
recherché la guerre, aussi je n’arrive pas à le détester. Il me laissera en
paix tant que je ne l’offenserai pas. En outre, j’ai assez de conflits sur les
bras sans me créer des tracas avec le Gwent. »
Ces conflits n’avaient
rien de grave. Les Blackshields d’Œngus franchissaient toujours la frontière
pour razzier la Silurie et Arthur entretenait de petites garnisons de lanciers
afin de lutter contre ces incursions. Il n’éprouvait aucune colère envers Œngus
qu’il considérait vraiment comme un ami, mais l’Irlandais ne pouvait pas plus
résister au pillage des moissons qu’un chien ne peut se retenir de gratter ses
puces. La frontière nord de la Silurie était plus préoccupante parce qu’elle
jouxtait le Powys et que ce pays, depuis la mort de Cuneglas, sombrait dans le
chaos. Perddel avait été proclamé roi, mais une demi-douzaine au moins de
puissants chefs de clan croyaient avoir plus de droits à la couronne que lui
– ou au moins, s’imaginaient pouvoir s’en emparer –, aussi ce
royaume autrefois puissant était-il devenu le lieu de sordides tueries. Le
Gwynedd, pays appauvri situé au nord de Powys, le pillait à cœur joie, des
bandes de guerriers se battaient entre elles, formaient des alliances
temporaires, les rompaient, massacraient mutuellement leurs familles et, si
elles s’estimaient menacées, se retiraient dans les montagnes. Assez de
lanciers étaient restés fidèles à Perddel pour qu’il
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