Excalibur
et,
levant tous deux les yeux, nous vîmes Taliesin qui se précipitait vers nous, du
tertre herbu de l’amphithéâtre d’Isca. Balig ne lâcha pas la ligne d’amarrage. « Tu
veux que j’attende, Seigneur ?
— Oui,
répondis-je en me levant.
— Je
viens avec vous, cria le barde, attendez ! » Il ne portait qu’un
petit sac de cuir et une harpe dorée. « Attendez ! » cria-t-il
de nouveau, puis il retroussa sa longue cotte blanche, ôta ses souliers et se
mit à patauger dans la boue visqueuse de la berge.
« Peux
pas attendre éternellement, grommela Balig tandis que le barde traversait
péniblement le banc de vase. La marée descend vite.
— J’arrive,
j’arrive ! » cria Taliesin. Il lança à bord sa harpe, son sac et ses
souliers, retroussa plus haut son vêtement et pataugea dans l’eau. Balig tendit
le bras, saisit la main du barde et le hissa sans cérémonie par-dessus le
plat-bord. Taliesin s’étala sur le pont, récupéra ses chaussures, son sac et sa
harpe, puis essora le jupon de sa cotte. « Seigneur, cela ne vous ennuie
pas si je viens ? me demanda-t-il, le bandeau d’argent posé de travers sur
ses cheveux noirs.
— Pourquoi
est-ce que cela m’ennuierait ?
— Mais je
n’ai pas l’intention de vous accompagner. Je veux juste passer en Dumnonie. »
Il redressa son bandeau, puis fronça les sourcils en regardant mes lanciers qui
souriaient d’une oreille à l’autre. « Ces hommes savent ramer ?
— Sûr qu’non,
répondit Balig à ma place. C’est des lanciers, i‘savent rien de rien. Et tous
ensemble, hein, espèce d’bâtards ! Prêts ? Pourrais aussi bien
apprendre à danser à des cochons. »
Il y avait
environ quatre lieues entre Isca et la pleine mer, quatre lieues que nous
couvrîmes rapidement parce que notre bateau était porté par la marée
descendante et le courant tourbillonnant de la rivière. L’Usk glissait entre
des bancs de vase miroitants qui bordaient des champs en friche, des bois dénudés
et de vastes marais. Des nasses en osier étaient disposées sur les berges où
des hérons et des mouettes picoraient les saumons qui se débattaient, échoués
par la marée descendante. Des chevaliers gambettes appelaient plaintivement
tandis que des bécassines prenaient de l’altitude pour descendre en piqué
au-dessus de leurs nids. Nous avions à peine besoin des avirons car la marée et
le courant nous emportaient vite, et lorsque nous arrivâmes à l’estuaire où la
rivière se jetait dans la Severn, Balig et son homme d’équipage hissèrent une
voile brune déguenillée qui prit le vent d’ouest et lança le bateau en avant. « Bordez
les rames », ordonna-t-il à mes hommes, puis il s’empara du grand
gouvernail et demeura là, tout content, tandis que la proue ronde du petit bateau
fendait les premières grosses vagues. « La mer sera guillerette aujourd’hui,
Seigneur, dit-il joyeusement. Écopez-moi cette eau ! cria-t-il à mes
lanciers. Tout ce qu’est mouillé doit rester hors du bateau, pas dedans. »
Mes nausées naissantes firent éclore un grand sourire sur son visage. « Trois
heures, Seigneur, pas plus, et on vous débarque.
— Vous n’aimez
pas les bateaux ? me demanda Taliesin.
— Je les
déteste.
— Une
prière à Manawydan devrait éloigner le mal de mer », dit-il calmement. Il
avait traîné un tas de filets à côté de mon coffre et s’était assis dessus.
Apparemment, les violents mouvements de l’embarcation ne le gênaient pas, en
fait il semblait y prendre plaisir. « J’ai dormi cette nuit dans l’amphithéâtre.
J’aime bien faire ça, poursuivit-il quand il vit que j’étais trop malade pour
répondre. Les sièges en gradins agissent comme une tour des songes. »
Je lui jetai
un coup d’œil, ces deux derniers mots apaisant un peu mon mal de mer car ils me
rappelaient Merlin qui, autrefois, avait une tour des songes au sommet du Tor d’Ynys
Wydryn. C’était une structure en bois, creuse, qui, prétendait-il, amplifiait
les messages des Dieux, et je comprenais comment l’amphithéâtre romain d’Isca,
avec ses hauts gradins, pouvait accomplir le même office. Je réussis à lui
demander : « As-tu vu l’avenir ?
— Une
partie seulement, mais j’ai aussi rencontré Merlin dans mon rêve. »
Ce nom chassa
mes derniers haut-le-cœur. « Tu as parlé à Merlin ?
— Lui m’a
parlé, précisa Taliesin, mais il ne pouvait pas
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