Excalibur
de paille embrasés voletaient avant de
se déposer sur les cadavres déchiquetés, ensanglantés, qui gisaient sur les
dalles de la cour, et nous restions toujours immobiles. « Venez à
Nantosuelta ! » cria encore Fergal d’une voix rauque.
Alors Argante
se leva. D’un mouvement d’épaules, elle se débarrassa du manteau de cérémonie,
doré et raide, révélant ainsi une simple robe de laine bleue qui la faisait
paraître encore plus enfantine. Elle avait d’étroites hanches de garçon, de
petites mains et un visage délicat aussi blanc que les toisons des agneaux
avant que le couteau noir ne prenne leurs jeunes vies. Fergal l’appela. « Venez,
entonna-t-il, venez à Nantosuelta, Nantosuelta vous appelle, venez à
Nantosuelta », et il continua à chanter, sommant Argante de rejoindre sa
déesse. Argante, presque en transe maintenant, avançait lentement, chaque pas
semblait lui coûter un effort tandis qu’elle marchait puis s’arrêtait, marchait
puis s’arrêtait, et que le druide l’attirait de ses incantations. « Venez
à Nantosuelta, psalmodiait-il, Nantosuelta vous appelle, venez à Nantosuelta. »
Argante avait fermé les yeux. Si pour elle, du moins, l’instant était solennel,
nous, je crois, étions plutôt gênés. Arthur paraissait consterné car, semblait-il,
il n’avait fait qu’échanger Isis contre Nantosuelta. Quant à Mordred, à qui l’on
avait jadis promis Argante pour épouse, il regardait d’un air avide la jeune
fille qui avançait en traînant les pieds. « Venez à Nantosuelta,
Nantosuelta vous appelle. » Fergal lui faisait toujours signe, mais
maintenant sa voix parodiait des stridences féminines.
Argante
atteignit le cerceau et lorsque la chaleur des dernières flammes toucha son
visage, elle ouvrit les yeux et parut presque surprise de se retrouver à côté
du feu de la déesse. Elle regarda Fergal, puis se pencha et franchit rapidement
l’anneau fumant. Elle sourit d’un air de triomphe et le druide l’applaudit,
nous invitant tous à nous joindre à lui. Nous le fîmes par politesse, mais nos
applaudissements dépourvus d’enthousiasme cessèrent lorsque Argante s’accroupit
à côté des agneaux morts. Nous gardâmes tous le silence tandis qu’elle
plongeait un doigt délicat dans l’une des blessures. Elle le retira et le leva
bien haut afin que nous puissions tous voir qu’il était taché de sang. Puis
elle se tourna vers Arthur. Elle le regarda fixement, la bouche ouverte,
montrant ses petites dents blanches, puis, lentement, mit le doigt dans sa
bouche et le suça. Gwydre, je le vis, contemplait sa belle-mère avec
incrédulité. Elle n’était pas beaucoup plus âgée que lui. Ceinwyn frissonna, sa
main étreignit plus fort la mienne.
Argante n’avait
pas encore terminé. Elle se retourna, trempa de nouveau son doigt dans le sang
et le fourra dans les cendres chaudes du cerceau. Puis, toujours accroupie,
elle passa la main sous l’ourlet de sa robe pour se frotter les cuisses avec ce
mélange de sang et de cendres. Elle assurait ainsi sa fécondité. Elle se
servait du pouvoir de Nantosuelta pour établir sa dynastie et nous étions tous
témoins de son ambition. Elle fermait les yeux, presque en extase, puis, le
rituel terminé, se releva soudain, la main de nouveau visible, et fît signe à
Arthur de venir. Elle sourit pour la première fois, et je vis qu’elle était
belle, mais d’une beauté sans charme, aussi dure, à sa façon, que celle de Guenièvre,
mais que n’adoucissait pas la toison lumineuse de celle-ci.
Elle fit de
nouveau signe à Arthur, car apparemment le rituel exigeait que lui aussi passe
dans le cerceau. Durant une seconde, il hésita, puis regarda Gwydre et,
incapable de supporter plus longtemps toute cette superstition, il se leva et
fit non de la tête. « Allons manger », ordonna-t-il d’un ton cassant,
puis il tempéra la sécheresse de son invitation en souriant à ses invités ;
à cet instant, je jetai un coup d’œil sur Argante et vis se peindre sur son
visage pâle la furie à l’état pur. Durant un battement de cœur, je crus qu’elle
allait injurier Arthur. Son petit corps se raidit, elle serra les poings, mais
Fergal, qui semblait avoir été le seul avec moi à remarquer sa rage, lui
chuchota quelques mots à l’oreille, et elle frissonna tandis que sa colère la
quittait. Arthur n’avait rien remarqué. « Emportez les torches »,
ordonna-t-il aux gardes, et l’on transporta
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