Excalibur
faisaient semblant de le prendre pour leur roi,
il ne vivait que parce qu’ils le toléraient. Il grimpa sur l’estrade. Arthur s’inclina
et nous fîmes tous de même. Mordred, ses cheveux raides plus rebelles que
jamais, une barbe encadrant vilainement son visage rond, répondit d’un bref
hochement de tête puis s’assit dans le fauteuil du milieu. Argante lui lança un
regard curieusement amical, Arthur s’empara du dernier siège ; ils
formaient tous une belle brochette, l’empereur, le roi et l’épouse enfant.
Je ne pus m’empêcher
de penser que Guenièvre aurait fait tout cela tellement mieux. Il y aurait eu
de l’hydromel chaud, beaucoup plus de brasiers, et de la musique pour noyer les
silences embarrassants, mais ce soir-là, personne ne semblait savoir ce qui
allait se passer jusqu’à ce qu’Argante s’adresse d’une voix sifflante au druide
de son père. Fergal jeta un regard inquiet alentour, puis traversa
précipitamment la cour pour s’emparer de l’une des torches. Il s’en servit pour
allumer le cerceau, puis murmura d’incompréhensibles incantations tandis que
les flammes s’emparaient de la paille.
Des esclaves
sortirent les cinq agneaux nouveau-nés de l’enclos. Les brebis appelèrent
pitoyablement leurs petits qui se tortillaient dans les bras des porteurs.
Fergal attendit que le cerceau fût entièrement embrasé, puis ordonna que les
agneaux le franchissent. Il s’ensuivit une grande confusion. Les petites bêtes,
ignorant que la fertilité de la Dumnonie dépendait de leur docilité, s’éparpillèrent
dans toutes les directions, sauf celle du feu ; les enfants de Balin se
joignirent avec enthousiasme à la chasse, en poussant des cris, et ne réussirent
qu’à aggraver le désordre, mais enfin, un par un, les agneaux furent rassemblés
et poussés vers le cerceau ; à la longue, on réussit à les persuader tous
les cinq de franchir le cercle de feu, mais la solennité voulue s’était
évanouie. Argante, sans doute accoutumée à voir ce genre de cérémonie se
dérouler infiniment mieux dans sa Démétie natale, fronçait les sourcils, mais
nous autres, nous riions et bavardions. Fergal restaura la dignité de cette
nuit en poussant soudain un cri sauvage qui nous glaça tous. Le druide, la tête
rejetée en arrière, regardait fixement les nuages ; il tenait d’une main
un grand couteau de silex et de l’autre un agneau qui se débattait en vain.
« Oh, non »,
protesta Ceinwyn, et elle se détourna. Gwydre fit la grimace et je passai le
bras autour de ses épaules.
Fergal brailla
son défi à la nuit, puis brandit au-dessus de sa tête l’agneau et le couteau.
Il cria de nouveau, et s’en prit férocement au petit animal, frappant et
déchiquetant son corps avec le couteau émoussé et peu maniable ; l’agneau
se débattait de plus en plus faiblement et bêlait pour appeler sa mère qui répondait
désespérément, tandis que son sang coulait de sa toison sur le visage levé de
Fergal et sur sa barbe en bataille, hérissée de poils de renard et ornée de
petits os. Galahad me murmura à l’oreille : « Je suis bien content de
ne pas vivre en Démétie. »
J’observai
Arthur durant cet étonnant sacrifice, et vis une expression de répulsion se
peindre sur son visage. Quand il s’aperçut que je le surveillais, ses traits se
durcirent. Argante, la bouche avidement ouverte, se penchait pour mieux voir le
druide. Mordred souriait d’une oreille à l’autre.
L’agneau
mourut et Fergal se mit à bondir comme un fou d’un bout à l’autre de la cour en
secouant le cadavre et hurlant des prières. Des gouttelettes de sang nous
éclaboussèrent. Je jetai ma cape sur Ceinwyn lorsque le druide, le visage
ruisselant de sang, passa devant nous en dansant. Visiblement, Arthur avait
ignoré que l’on préparait cette tuerie barbare. Il avait sans doute cru que sa
nouvelle épouse avait organisé quelque cérémonie solennelle en préambule du
festin, mais le rituel s’était mué en une orgie de sang. Les cinq agneaux
furent massacrés et quand la dernière petite gorge eut été tranchée par la sombre
lame de silex, Fergal recula et désigna le cerceau. « Nantosuelta vous
attend, nous cria-t-il, elle est là ! Venez à elle ! » Il attendait
nettement une réaction, mais aucun de nous ne bougea. Sagramor contemplait la
lune et Culhwch cherchait un pou dans sa barbe. De petites flammes dansaient
tout le long du cerceau et des fragments
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