Excalibur
c’est un manoir, un peu de terre, des troupeaux, des récoltes à la
belle saison, du bois à brûler, une forge pour le travail du fer, un ruisseau
pour l’eau. Est-ce trop demander ? » Il se permettait rarement un tel
apitoiement sur lui-même et je laissai sa colère s’épuiser en paroles. Il avait
souvent exprimé ce rêve d’une maison bien enclose de sa palissade, protégée du
monde par des bois profonds et de vastes champs, et pleine de ses propres gens,
mais maintenant que Cerdic et Aelle préparaient leurs lances, il devait savoir
que c’était un rêve sans espoir. « Je ne peux pas tenir éternellement la
Dumnonie et, quand nous aurons vaincu les Saxons, il sera peut-être temps de
laisser d’autres hommes réfréner Mordred. Quant à moi, je suivrai Tewdric sur
la voie du bonheur. » Il rassembla ses rênes. « Je ne peux pas penser
à Guenièvre en ce moment, mais si elle est en danger, tu t’occuperas d’elle. »
Et sur cet ordre cassant, il talonna sa monture et s’éloigna.
Je restai sur
place. J’étais consterné, mais si j’avais réfléchi et repoussé le dégoût que m’inspiraient
ses dernières paroles, j’aurais sûrement compris ce qu’il avait en tête. Il
savait que je ne tuerais pas Guenièvre, et donc qu’elle était en sécurité, mais
en me donnant cet ordre cruel, il n’était pas obligé de trahir ce qu’il lui
restait d’affection pour elle. Odi at amo, excrucior .
Nous ne tuâmes
rien ce matin-là.
*
Au cours de l’après-midi,
les guerriers se rassemblèrent dans la salle du banquet. Mordred était assis,
le dos voûté, dans le fauteuil qui lui servait de trône. Il ne contribuait pas
au débat car c’était un roi sans royaume, cependant Arthur le traitait avec la
courtoisie qui convenait. Il commença, en effet, par dire que lorsque les
Saxons viendraient, Mordred chevaucherait avec lui, et que toute l’armée
combattrait sous sa bannière, celle du dragon rouge. Le roi acquiesça d’un
signe de tête, mais que pouvait-il faire d’autre ? En vérité, et nous le
savions, Arthur ne lui offrait pas une occasion de rédimer sa réputation dans
la bataille, mais s’assurait qu’il ne commettrait aucun méfait. La meilleure
chance qu’aurait eue Mordred de regagner le pouvoir, c’était de conclure une
alliance avec nos ennemis en s’offrant comme roi fantoche à Cerdic, mais au
lieu de cela, il serait prisonnier des rudes guerriers d’Arthur.
Ce dernier
nous confirma alors que Meurig ne participerait pas au combat. Cette nouvelle,
qui n’avait rien d’une surprise, fut accueillie par un grondement de haine.
Arthur fit taire les protestations. Ce roi était convaincu que la guerre à
venir ne le concernait pas, nous expliqua-t-il, mais il avait tout de même
accordé à Cuneglas et à Œngus le droit de traverser son royaume avec leurs
armées. Arthur ne parla pas du désir qu’avait Meurig de gouverner la Dumnonie ;
comme il espérait encore le voir changer d’avis, il ne voulait pas, par cette annonce,
attiser notre haine pour le Gwent. Les forces du Powys et de la Démétie, dit
Arthur, allaient converger vers Corinium ; cette cité romaine fortifiée
serait notre quartier général et nous devions y concentrer toutes nos réserves.
« Nous allons dès demain commencer à l’approvisionner. Je veux qu’elle
regorge de nourriture, car c’est là que nous mènerons notre bataille. »
Arthur fit une pause. « Une grande bataille où leurs forces rassemblées
affronteront tous les hommes que nous pourrons lever.
— Un
siège ? demanda Culhwch, surpris.
— Non. »
Arthur expliqua qu’il avait l’intention de faire de Corinium un leurre. Les
Saxons entendraient bientôt dire que nous remplissions la ville de viande
salée, de poisson séché et de céréales et, comme toute grande horde en marche,
ils se trouveraient bientôt à court de nourriture et seraient attirés par
Corinium comme un renard par un poulailler ; c’est là qu’il prévoyait de
les détruire. « Ils l’assiégeront et Morfans la défendra. » Celui-ci,
déjà prévenu, acquiesça d’un signe de tête. « Mais le reste d’entre nous
se tiendra dans les collines, au nord de la cité. Cerdic l’apprendra et, pour
nous détruire, devra lever le siège. Alors, nous le combattrons sur le terrain
de notre choix. »
Pour que ce
plan réussisse, il fallait que les deux armées saxonnes descendent la Tamise,
or tous les signes indiquaient
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