Excalibur
l’étoile blanche sur mon
lourd bouclier. La nouvelle année arriva avec les premiers chants des merles.
Les grives draines lancèrent leurs appels du haut des mélèzes, derrière la
colline de Dun Carie, et nous envoyâmes les enfants du village parcourir les
pommeraies, armés de casseroles et de bâtons, afin d’effrayer les bouvreuils
qui arracheraient les minuscules bourgeons. Les moineaux firent leurs nids et
le ruisseau scintilla du retour des saumons. Les crépuscules résonnèrent du
tintamarre des bergeronnettes. En quelques semaines, les coudriers fleurirent,
les cônes tachetés d’or apparurent sur les saules, et les violettes des chiens
émaillèrent les sous-bois. Les lièvres dansèrent dans les champs où jouaient
les agneaux. En mars, les crapauds grouillèrent et je craignis ce qu’ils
signifiaient, mais je ne pus questionner Merlin, car Nimue et lui avaient
disparu et il semblait que nous serions forcés de combattre sans leur aide. Les
alouettes chantèrent et les pies prédatrices cherchèrent les œufs fraîchement
pondus dans les haies encore dépourvues du couvert de leur feuillage.
Les feuilles
parurent enfin et, avec elles, les premiers guerriers du Powys. Ils n’étaient
pas nombreux, car leur roi ne voulait pas épuiser les réserves de nourriture
que l’on entassait à Corinium, mais leur arrivée annonçait l’armée plus
importante que Cuneglas nous amènerait après Beltain. Le vêlage commença, on
baratta le beurre et Ceinwyn s’affaira à nettoyer le manoir des fumées de ce
long hiver.
Ce furent des
jours étranges et doux-amers, avec cette promesse de guerre planant sur le
renouveau d’un printemps soudain éclatant de cieux inondés de soleil et de prés
colorés de fleurs. Les chrétiens parlent dans leurs prêches des « derniers
jours », les temps précédant la fin du monde, et peut-être les gens se
sentiront-ils alors comme nous, en ce doux et beau printemps. La vie
quotidienne était empreinte d’une irréalité qui prêtait une importance
exceptionnelle à la moindre petite tâche. C’était peut-être la dernière fois
que nous brûlerions la paille hivernale de nos lits, la dernière fois que nous
tirerions un veau tout couvert de sang de la matrice de sa mère pour l’amener
au monde. Tout nous devenait cher car tout était menacé.
Nous savions
aussi que le Beltain à venir pouvait être le dernier que nous connaîtrions
jamais, aussi nous tentâmes de le rendre mémorable. Cette fête salue la vie de
la nouvelle année, et la veille, nous laissâmes mourir tous les feux de Dun
Caric. On cessa d’alimenter ceux de la cuisine, qui avaient brûlé tout l’hiver,
et le soir, ils n’étaient plus que braises. On les éteignit en faisant tomber
ces dernières, on balaya les âtres, puis on prépara les nouveaux feux, pendant
que sur une colline, à l’est du village, on entassait deux grands tas de
fagots, dont l’un fut empilé au pied de l’arbre sacré que Pyrlig, notre barde,
avait choisi. C’était un jeune noisetier que nous avions coupé puis porté solennellement
dans la rue du village et de l’autre côté du ruisseau, sur la colline. On y
avait suspendu des lambeaux d’étoffe et toutes les maisons, comme le manoir
lui-même, étaient parées de branches de jeunes noisetiers.
Cette nuit-là,
dans toute la Bretagne, les feux étaient morts. À la Vigile de Beltain règnent
les ténèbres. La fête eut lieu dans notre manoir, mais sans feu pour faire la
cuisine, sans flammes pour éclairer les hauts chevrons. Il n’y avait de lumière
nulle part, sauf dans les villes chrétiennes où les gens multipliaient les feux
pour défier les Dieux, mais à la campagne, tout était obscur. Au crépuscule,
nous avons gravi la colline, foule mêlée de villageois, de lanciers conduisant
le bétail et de moutons qu’il fallait enfermer dans des enclos en clayonnage.
Les enfants jouaient, mais une fois la grande obscurité tombée, les plus jeunes
s’endormirent et leurs petits corps reposèrent dans l’herbe tandis que nous
nous rassemblions autour des tas de bois pour chanter la Complainte d’Annwn.
Puis, au
moment le plus sombre de la nuit, nous avons allumé le feu de la nouvelle
année. Pyrlig fît naître la flamme en frottant deux bâtons pendant qu’Issa
laissait tomber un à un sur les étincelles des copeaux de mélèze qui émirent
une mince volute de fumée. Les deux hommes se penchèrent sur la minuscule
flamme, soufflèrent
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