Excalibur
nord
d’Ynys Wydryn. Nous nous arrêtâmes ce soir-là dans un manoir abandonné où nous
prîmes un maigre repas de pain dur et de poisson séché. Argante s’assit à l’écart,
protégée par son druide et ses gardes, et quoique Ceinwyn tentât de l’attirer
dans notre conversation, elle resta sourde à ses avances, aussi nous la laissâmes
bouder.
Lorsque nous
eûmes mangé, je me rendis avec Ceinwyn et Guenièvre au sommet d’une petite
colline, derrière le manoir, où se trouvaient deux des tombes de nos Anciens.
Je sollicitai le pardon des morts et grimpai sur l’un des monticules où mes
compagnes me rejoignirent. Nous regardâmes tous trois vers le sud. Les fleurs
de pommiers luisantes de clair de lune blanchissaient joliment la vallée, mais
nous ne vîmes rien à l’horizon, sauf la lueur menaçante des feux. « Les
Saxons avancent vite », dis-je avec amertume.
Guenièvre
resserra la cape sur ses épaules. « Où est Merlin ?
— Disparu. »
Des bruits couraient que le druide était en Irlande, ou dans les étendues
sauvages du nord, ou peut-être dans les landes du Gwynedd, alors qu’une autre
histoire assurait qu’il était mort et que Nimue avait abattu tous les arbres d’un
versant montagneux pour édifier son bûcher funéraire. Ce n’était que des
rumeurs, me disais-je, rien que des rumeurs.
« Nul ne
sait où est Merlin, mais lui sait sûrement où nous sommes, dit tendrement
Ceinwyn.
— Je prie
pour qu’il en soit ainsi », répliqua Guenièvre avec ferveur, et je me
demandai quel dieu ou quelle déesse elle pouvait prier. Toujours Isis ? Ou
était-elle revenue aux Dieux bretons ? Peut-être ceux-ci avaient-ils fini
par nous abandonner, et cette idée me fit frissonner. Les flammes de Mai Dun
avaient été leur bûcher d’adieu, et les bandes armées qui ravageaient maintenant
la Dumnonie, leur vengeance.
Nous
repartîmes à l’aube. Des nuages s’étaient amoncelés durant la nuit et une
petite pluie se mit à tomber dès le lever du jour. La Voie du Fossé fourmillait
de réfugiés et bien que j’eusse mis à notre tête une vingtaine de guerriers qui
écartaient de notre route les troupeaux et les chariots tirés par des bœufs,
notre progression était pitoyablement lente. Beaucoup d’enfants ne pouvaient
pas nous suivre et devaient être, soit portés par les animaux de bât déjà
chargés de nos lances, de nos armures et de nos provisions, soit hissés sur les
épaules des plus jeunes lanciers. Guenièvre et Ceinwyn leur racontaient des
histoires en marchant, tandis qu’Argante chevauchait ma jument. La pluie devint
plus forte, balayant les crêtes des collines de ses larges rideaux gris et
gargouillant dans les fossés, de part et d’autre de la voie romaine.
J’avais espéré
arriver à Aquae Sulis à midi, mais ce fut au milieu de l’après-midi que notre
troupe fatiguée et trempée pénétra dans la vallée où s’étendait la cité. La
rivière était en crue et une masse de débris flottants, s’accumulant contre les
piles du pont romain, avait formé un barrage et provoqué l’inondation des
champs sur les deux rives. Le magistrat de la ville aurait dû faire déblayer
son cours, mais il ne s’en était pas occupé, pas plus qu’il n’avait entretenu
le mur qui ceinturait sa cité. Celui-ci ne s’élevait qu’à une centaine de pas
du pont et, Aquae Sulis n’étant pas une forteresse, il n’avait jamais été
redoutable, mais maintenant, il ne constituait guère un obstacle. Des parties
entières de la palissade élevée sur le rempart de terre et de pierres avait été
arrachées pour servir de bois de charpente ou de chauffage, et le rempart
lui-même était si érodé que les Saxons auraient pu le franchir sans ralentir l’allure.
Ici et là, des hommes tentaient frénétiquement de réparer la muraille, mais il
aurait fallu tout un mois à cinq cents ouvriers pour reconstruire ces défenses.
Nous entrâmes
à la queue leu leu par la belle porte sud et je constatai que, même si la ville
n’avait pas la force de préserver ses remparts, ni la main-d’œuvre nécessaire
pour empêcher que des détritus divers n’engorgent le pont, quelqu’un avait
trouvé le temps de mutiler le beau masque de Minerve, la déesse romaine, qui en
ornait autrefois l’arche. Ce n’était plus maintenant qu’un bloc de pierre
martelé sur lequel on avait grossièrement gravé une croix. « C’est une
ville chrétienne ? me demanda
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