Fatima
resserre pour les jarres et les deux mules acquises par Ali, ainsi qu’un petit abri pour la cuisine.
La glaise rouge des toits fut recouverte de palmes fraîches avant l’arrivée des grosses chaleurs de l’été. Lorsqu’une solide porte en tronc de palmier fut dressée sur le mur est, face à la maison du Messager, la mère d’Ali et la tante Kawla annoncèrent à qui voulait les écouter :
— Les épousailles approchent. Elles seront pour la prochaine lune.
Elles décidèrent alors que Fatima serait dispensée des tâches ordinaires. Il n’était pas souhaitable qu’elle vaque seule hors de l’enceinte de la maison, y compris pour les corvées d’eau jusqu’au wadi. Une grande partie de ses journées fut alors ponctuée par les visites des femmes de Yatrib, celles du clan des Aws ou des Juives de la maison de ben Shalom. Bavardes, elles racontaient les mille et une histoires d’épousailles de l’oasis, sans même s’étonner du silence et de l’indifférence de Fatima. L’attention de la mère d’Ali ou de la tante Kawla semblait leur suffire. Tout au plus, avant de quitter la maison de l’Envoyé, ces commères entouraient-elles la future épouse.
— Bonheur et bénédiction ! s’écriaient-elles. Grande chance ! Que la paume d’Allah embellisse tes jours !
Elles l’embrassaient, la serraient contre leurs poitrines sèches ou rebondies sans jamais paraître se soucier des coups d’oeil agacés que Fatima leur lançait. Et cela recommençait le lendemain, puis le jour suivant…
Un après-midi où elles s’éloignaient en jacassant, comme à leur habitude, une longue caravane apparut sur le chemin qui bordait le terrain des adeptes d’Allah. Après un silence chargé de suspicion et d’inquiétude, les femmes poussèrent de grandes exclamations de joie. La caravane convoyait ceux de Mekka qui s’étaient réfugiés à Axoum, chez le roi des Abyssins ! Allah soit Loué, ils rejoignaient enfin Yatrib !
Muhammad et ses compagnons accoururent pour les accueillir. Quand les chèches furent ôtés des visages et les femmes descendues des palanquins, la tante Kawla cria de joie en reconnaissant Omm Kulthum et ‘Othmân ibn Affân.
L’un et l’autre avaient changé. ‘Othmân était devenu plus solide et plus sévère. Omm Kulthum, autrefois ronde et les traits légèrement brouillés, avait acquis l’assurance d’une femme sûre de son autorité et accoutumée à voir ses désirs exaucés. Elle salua sa jeune soeur d’un air distant. Quand Kawla annonça les prochaines épousailles de Fatima et d’Ali, elle eut une remarque mordante :
— Ah, ma soeur, dit-elle, deviendrais-tu une fille comme les autres ?
Par chance, Fatima n’eut pas à répondre. Devant Muhammad, ‘Othmân annonça que la très belle Ruqalya, son épouse adorée, était morte en voulant lui donner un fils. Cela faisait plus d’une année.
— Ta fille et moi avons à peine eu le temps de nous connaître, Messager, dit-il.
Selon la coutume, ‘Othmân avait aussitôt pris Omm Kulthum pour épouse.
— Messager, rien n’effacera le souvenir de mon amour pour Ruqalya, ajouta ‘Othmân avec nostalgie. Mais Allah a comblé les femmes de ta descendance comme nulles autres. Omm Kulthum, je l’ai découvert, recèle des trésors, et personne dans tout le Hedjaz et l’Abyssinie n’est un époux plus heureux que moi.
Chacun put ainsi déduire d’où venaient l’orgueil et le contentement d’Omm Kulthum.
L’arrivée de ‘Othmân et des compagnons d’Afrique améliora l’existence quotidienne de la maisonnée. Chez le roi d’Abyssinie, les croyants d’Allah avaient pu faire du bon commerce. Ils arrivaient à Yatrib plus riches qu’à leur départ de Mekka. Leurs caravanes comptaient de précieux chevaux, des armes et des merveilles des pays lointains que l’on vendit aux commerçants de passage dans l’oasis.
Bientôt, et pour la première fois depuis de longs mois, les uns et les autres purent se vêtir d’habits neufs, et les écuelles des repas furent bien remplies. Une fois le spectre de la faim éloigné, Omar fut le premier à dire ce que beaucoup, chez les compagnons, pensaient :
— Enfin nous ne sommes plus comme des nourrissons, à téter du lait et à mâcher de la semoule ! Bientôt, nous verrons que nos exercices guerriers n’auront pas été inutiles.
De fait, les alentours de la maison de l’Envoyé d’Allah se peuplaient et bruissaient d’animation.
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