Fatima
À peine la maison d’Ali et de Fatima fut-elle achevée que d’autres murs furent érigés, afin que les nouveaux arrivants possèdent un toit au prochain hiver.
Un soir, alors que Fatima rejoignait sa couche, la tante Kawla la retint.
— Muhammad a envoyé des hommes armés dans le Sud, au-devant d’une caravane de Mekka, lui chuchota-t-elle.
Et, comme Fatima la fixait intensément, elle ajouta :
— Zayd est avec eux. Ton père l’a désigné parmi les douze qui sont partis. Il lui a dit qu’il devait se préparer à devenir un grand scribe guerrier.
À la faible lueur de la lampe à huile, la tante guettait la réaction de Fatima. Sa main ne quittait pas le bras de la jeune femme. Elle la sentit qui chancelait comme sous un coup, puis aussitôt se raidissait, vibrante de colère et d’amertume.
Qui pouvait ignorer que le plus cher désir de Fatima était d’accompagner ces guerriers ? Qu’elle voulait se tenir à leur côté, sa nimcha sortie de son fourreau et sa lance levée, prête à affronter les puants de Mekka ? Tel était son rêve depuis toujours, et peut-être bien son destin.
Allah le savait. Son père le savait.
Pourtant…
Allah avait choisi. Son père avait choisi.
Fatima Zahra bint Muhammad devait se comporter en femme ordinaire.
À quoi bon rêver et se laisser aigrir par la déception ?
Sans un mot, d’un mouvement sec, Fatima voulut libérer son poignet de la main de la tante Kawla. Celle-ci resserra ses doigts, la retint encore.
— Fatima…
La flamme de la lampe suspendue près de la porte de la chambre n’était ni haute ni stable. Elle jetait des ombres folles qui donnaient à chaque chose une apparence étrange. Mais que les lèvres de Kawla se missent soudain à trembler, Fatima en fut bien certaine. Elle sut la raison de ce tremblement avant même d’entendre les mots que la tante prononça :
— Pour tes épousailles aussi, ton père a décidé. Elles auront lieu demain.
Cela débuta comme un jour ordinaire. Puis, quand le soleil approcha du zénith, la tante Kawla et la mère d’Ali accompagnèrent Fatima au wadi Bathân. Une surprise l’y attendait : Aïcha s’y trouvait déjà, entourée des femmes de la maison d’Abu Bakr.
Répondant à la question muette de Fatima, la tante Kawla annonça :
— Pour elle aussi, ce jour est celui des épousailles.
— Mais elle n’est pas encore femme ! s’exclama Fatima.
— À celles qui le lui ont fait remarquer, ton père a répondu : « Femme, Aïcha l’est déjà dans mon coeur. Et elle me conduit chaque nuit à la rencontre du Seigneur mon Rabb. Pour ce qui est de la voie du plaisir, elle a tout le temps de fleurir. La patience est la sagesse de celui qui dépose sa hâte entre les mains de Dieu. »
Fatima se détourna. À cet instant Aïcha, depuis le milieu de la rivière, lui fit un signe de bienvenue. Kawla murmura :
— Sois douce avec elle, Fatima. Elle n’est qu’une enfant qui ignore encore tout des manigances des hommes et de la dureté du monde. Ne lui en veux pas. Ne sois pas injuste envers elle.
Fatima répondit au salut d’Aïcha. La promise de son père s’écria, radieuse :
— Viens ! Viens avec moi dans la rivière. On va nous marier ensemble. Que je suis contente !
Doucement la tante Kawla poussa Fatima vers le wadi.
Jusque tard dans l’après-midi, les deux promises durent se soumettre à d’interminables ablutions alternées de massages d’onguents, jusqu’à ce que leurs peaux soient plus douces qu’un voile de soie.
De temps à autre, les femmes lançaient des youyous stridulants. Ils résonnaient loin sur les rives du wadi. Bientôt des voisines arrivèrent, des inconnues appartenant aux clans des environs. Certaines portaient des couffins de linge à laver, d’autres des jarres, simples prétextes pour assouvir leur curiosité. Après les saluts et les présentations, elles aussi se mêlèrent au groupe qui entourait Aïcha et Fatima.
Les plus jeunes fêtèrent les fiancées avec autant de simplicité que si elles étaient toutes soeurs et filles d’un même clan. Les chants, les bénédictions et les promesses de bonheur jaillirent, ainsi que les rires et les caresses attendries. Bientôt une même gaieté les emporta toutes, jeunes et âgées, chacune oubliant la rudesse de sa vie.
Pour la toute première fois de son existence, Fatima, qui redoutait les assemblées féminines et s’en était toujours tenue à l’écart, se sentit
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