Fatima
mon père devra se résoudre à ce que sa fille Fatima soit destinée à se marier.
Sans un mot de plus, elle garda encore un instant la main brûlante de Zayd dans la sienne, comme cela aurait pu être si Allah avait permis qu’elle fût maîtresse de ses désirs.
Puis elle la lâcha, songeant, et enfermant aussitôt cette pensée loin dans son coeur sans que Zayd pût la deviner, qu’Allah la punissait de sa jalousie envers Aïcha.
La mère d’Ali, au soir, l’attira dans leur chambre commune. Sur la couche de Fatima, elle étendit une somptueuse tunique en fils de laine mêlés de soie. De savantes arabesques brodées serpentaient jusqu’à la taille, enserrant le plastron rehaussé de croissants d’argent, d’anneaux d’or et de coeurs en coquillage à la nacre d’un rose aussi tendre que les cieux de l’aube naissante. Il y avait là, Fatima le comprit au premier coup d’oeil, tous les trésors que la vieille femme avait pu sauver dans sa fuite de Mekka.
Les joues rougies d’émotion, les yeux flamboyants d’espérance, sans libérer la main de Fatima qu’elle serrait à lui faire mal, la mère d’Ali chuchota sur le ton du secret :
— Une robe d’épousailles comme on les faisait à Mekka. Celles d’ici sont moins belles que les nôtres. Tout l’hiver je l’ai tissée en secret pour toi. La fille de notre Envoyé doit resplendir quand le jour arrivera. Et j’y ai souvent pensé : Ashemou serait très fière de te la voir porter ! Oh oui !
Elle se tut et ferma les paupières. Ses lèvres frémirent. Peut-être était-ce le souffle d’une prière.
Brusquement, elle rouvrit les yeux et dit :
— Fatima, tu ne tarderas pas à devenir femme ! Tu ne tarderas pas. Je le sais !
Elle se frappa la poitrine de la paume, répétant ce geste à chaque mot :
— Allah est grand et Muhammad est son nâbi !
Son regard fiévreux scrutait Fatima, qui ne bougeait ni ne laissait paraître le moindre sentiment. Alors un sanglot jaillit de la gorge de la vieille femme. Ravissement et soulagement, tout autant que peine et reproche. D’un geste convulsif, elle agrippa les épaules de la jeune fille, la pressa contre son sein, lui baisa les joues avant de la repousser, bouleversée. Elle quitta la pièce avec ce trottinement de vieille femme qu’elle avait acquis depuis leur arrivée à Yatrib.
Une fois seule, Fatima replia avec soin la tunique d’épousailles. La mère d’Ali ne se vantait pas : c’était un vêtement de reine, souple et lumineux, au tissage parfait, et dont la parure éblouissait.
Fatima la rangea avec soin dans son coffre à vêtements aux trois quarts vide. Un peu plus tard, quand la tante Kawla entra à son tour dans leur chambre commune, elle chercha des yeux le vêtement. Bien sûr, elle savait tout de la tunique d’épousailles. Sans doute connaissait-elle aussi le nom de l’époux selon la volonté d’Allah.
Mais elle se tut. Et Fatima aussi.
Fatima retrouve son père
Muhammad attendit la nouvelle lune et d’avoir prononcé les prêches d’Achoura. Ce jour-là, devant les Soumis de Mekka et les nouveaux croyants, il parla de nouveau des voyages des prophètes, de Noé et de Moïse entraînant leur peuple loin des folies des hommes et de leurs malfaisances. Parmi les femmes, Fatima l’écoutait avec attention.
Depuis quelque temps, ces moments étranges où elle entendait la voix de son père et le voyait comme s’il était devenu un quasi-inconnu ne lui rongeaient plus la poitrine ni ne la mettaient plus en colère. Simplement, pour mieux les supporter, elle gardait les paupières closes et tâchait d’offrir aux vivants un visage paisible.
Cette fois-ci, pourtant, alors que le prêche se terminait, elle perçut une intonation nouvelle dans la voix de Muhammad. Elle crut sentir son regard sur elle. Ce qu’il n’avait pas fait depuis des lunes.
L’espoir au coeur, elle craignit malgré tout de se tromper.
La voyait-il vraiment ? Sa voix contenait-elle, comme il lui semblait soudainement, une émotion qui ne s’adressait qu’à elle ?
N’était-ce pas une folie de son désir et de son imagination ?
Fatima n’osa pas rouvrir les yeux. Cette illusion était si douce… À quoi bon la confronter à la vérité ?
Mais quand elle comprit que son père allait clore le prêche par la prière commune, émue comme cela ne lui était pas arrivé depuis longtemps, elle le regarda.
Ô Allah !
Elle ne s’était pas trompée. Son père
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