Fatima
questions hantèrent Fatima.
Pourquoi Allah le Clément et Miséricordieux se montrait-il si intraitable envers Son Messager ? Pourquoi ne donnait-il pas à celui qu’il avait lui-même choisi tous les moyens de vaincre les mauvais ? N’était-Il pas le Tout-Puissant ? Celui qui décodait ce qui était et ce qui n’était pas ?
Tout le jour, elle ressassa cette pensée, jusqu’à en avoir le coeur plus pesant qu’une pierre. La tristesse lui poussait comme un tissu mouillé dans la gorge, l’empêchant de respirer. Elle n’avait plus qu’un seul espoir de légèreté et de joie : le moment où elle pourrait enfin retrouver Abd’Mrah dans le lac aux deux étoiles.
Mais Allah avait déposé cette nuée opaque au coeur de la nuit, interdisant leurs retrouvailles magiques.
Maintenant, sur cette terrasse que sa mère avait aimée, face au nuage de ténèbres qui masquait jusqu’aux étoiles de la Voie lactée, qui effaçait et détruisait tous les pouvoirs maléfiques des démons, la réponse à la question qu’elle s’était posée tout le jour monta à ses lèvres, effrayante.
Elle qui avait fait la promesse de protéger son père avait-elle attiré sur lui la colère du Tout-Puissant ?
Un bref instant, elle songea à courir jusqu’à la couche de Muhammad. Le réveiller. Tout lui confier. Abd’Mrah, cette folie de fille qui l’avait prise pour le Bédouin et rendue aussi sotte que Ruqalya et Oram Kulthum. Pis encore : qui l’avait poussée à séduire les démons.
Non, c’était impossible.
Comment son père pourrait-il lui pardonner ? Comment pourrait-il avoir encore confiance en elle ?
D’ailleurs, une fille ne courait pas en pleine nuit jusqu’à la couche de son père.
Ne songeait-elle qu’à ajouter des fautes à sa faute ?
Elle ne devait plus se mentir.
Ce n’était pas de son père qu’elle devait obtenir la clémence et le pardon. C’était de Celui qui savait et pouvait tout.
Fatima se laissa glisser sur la pierre blanche de la terrasse. Recroquevillée, tremblant d’humilité, comme si un vent d’hiver coulait dans ses veines, elle pria.
Longtemps, si longtemps que le ciel commença à se teinter du rose de l’aube. Elle récita chacun des versets que son père lui avait enseignés. Ceux qu’il avait répétés ici et là. Dans une circonstance ou dans une autre. Elle en poussait les mots hors de sa bouche comme sa mémoire lui en donnait le souvenir. Dans le désordre, dans un chaos de sens et de pensées.
En vérité, elle se rappelait peu.
En vérité, elle s’était toujours contentée d’écouter distraitement son père le Messager.
En vérité, elle se souvenait mieux des moments où il avait parlé que des mots prononcés. Elle se souvenait de son visage, de sa voix profonde, patiente ou puissante, dans les rues de Mekka, devant le grand marché, sous le tamaris de la maison ou à la Ka’bâ. Elle se souvenait du soleil et des ombres, des visages qu’elle surveillait.
Surveiller, c’était sa mission. Garder à l’oeil les comportements des uns et des autres, guetter les mauvais gestes, les menaces, les ricanements et les signes de mépris. C’était son devoir.
Mais alors les mots subtils que prononçait Muhammad s’empressaient de fuir son esprit, capricieux comme des mouches.
Et maintenant, ils venaient dans sa bouche, aussi neufs que si jamais elle ne les avait entendus.
Elle récita et récita encore, fouillant dans sa mémoire et la retournant comme un sac trop vide. Demandant pardon, ô Seigneur Clément et Miséricordieux, pardon ! lorsqu’elle ne parvenait pas à clore une phrase, la laissait en suspens, retrouvant aussitôt d’autres versets. Les répétant encore et encore avec la grande honte d’être si pauvre dans ce savoir. Elle qui se croyait tant la fille de son père, elle ne l’était, en vérité, pas plus qu’une autre !
Cela dura jusqu’à ce que le sommeil lui ferme les yeux. Alors, au milieu d’une phrase, elle bascula sur le côté, tel un animal épuisé par la chasse.
C’est ainsi qu’Ashemou la découvrit avant que le soleil ne passe la crête des montagnes. Elle avait trouvé sa couche vide et parcouru toute la maison avec inquiétude. Ses doigts frémissaient encore de cette peur quand elle frôla le front de Fatima, soulagée. Mais si légère que fût la caresse, Fatima se réveilla en sursaut.
Ashemou vit l’angoisse dans son regard, les paupières lourdes, les lèvres
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