Fatima
sur son père, le Messager, depuis leur arrivée à Ta’if…
Elle avait attisé la colère d’Allah. Elle était devenue celle qui alourdissait la barque.
Le prophète Younes
Quand enfin ils avaient quitté cette Mekka qui les haïssait et laissé derrière eux les sombres jours qui avaient précédé, Fatima avait vu combien son père appréciait de chevaucher le fin méhari.
L’animal en un rien de temps s’était accoutumé à son nouveau maître. Tout au long de la route, retrouvant la légèreté de sa jeunesse, en franchissant le col d’al Namra et la vallée d’Arafa, Muhammad avait poussé la bête dans de longs galops. Personne, pas même Abdonaï monté sur son vieux cheval de razzia, noir et endurant, n’avait pu le suivre.
Hélas, cette bonne humeur se brisa dès leur arrivée à Ta’if.
Muhammad le Messager se présenta devant le Conseil de la cité. Là, les vilenies d’Abu Lahab et d’Abu Sofyan avaient déjà accompli leur oeuvre. Les puissants de Ta’if leur étaient liés par d’anciennes et solides complicités. En son temps, Khadija avait su les amadouer. Mais, de son veuf, ils ne voulaient rien entendre. Les premières paroles qu’ils lui adressèrent furent pour le repousser :
— Si tu viens pour profiter de la fraîcheur des sources et des terrasses de Ta’if, de la maison et des champs verts de ton épouse défunte, dirent-ils, tu es le bienvenu. Si tu viens pour semer tes mots et tes condamnations aux enfers, comme tu l’as fait à Mekka, nous nous boucherons les oreilles. Aussi bien, repars tout de suite ! Si tu viens jeter tes sorts de djinn sur Isâf, notre dieu bien-aimé, sur Ozzâ l’Éternelle et sur Al’lat la Grande, tu périras.
Ils ajoutèrent :
— Tu n’es pas de taille à les affronter, et nous, nous n’hésiterons pas à te combattre. Comme tu ne sais pas garder la bouche close, l’opinion du Conseil est qu’il vaut mieux pour toi repartir dès demain.
Fatima fut bouleversée par la mine sombre de son père. La joie qui l’avait accompagné tout au long de la route et avait illuminé son visage s’était muée en une cendre grise qui lui ruinait les traits. Hormis pour la prière, il ne parla plus jusqu’au lendemain.
Alors, ce fut pire.
Malgré les menaces, Muhammad s’aventura dans les champs où l’on cueillait des olives et des fèves afin d’évoquer Allah le Clément. D’abord, il dut essuyer des insultes. Et comme il s’obstinait, les gens se mirent à lui lancer des pierres, des mottes de terre et du bois mort à la figure. Abdonaï l’accompagnait. Il contraignit son maître à revenir dans la cour de leur maison.
Pour la première fois, Fatima vit son père dans un grand abattement. Même les mouvements de ses mains, d’ordinaire si vifs, étaient alourdis d’une fatigue qu’elle ne lui connaissait pas.
Après la prière du soir, elle l’entendit chuchoter à Abu Bakr :
— Mon Rabb doute de moi. Sa parole ne m’est plus envoyée. Je vais sur le chemin en aveugle. Je tends la main. Mes doigts ne touchent que le froid et le vide. Où est ma faute ? Je dois la trouver pour m’en purifier.
Ensuite, les jours adoptèrent une tournure imprévue. Désormais chacun, femme ou homme, fut voué à l’étude.
Zayd avait quitté Mekka avec un coffre rempli de rouleaux d’écritures choisis par Waraqà. Ces rouleaux racontaient l’histoire des prophètes juifs de Ghassan. La langue était celle des Hébreux que Zayd, né au pays de Kalb, connaissait. Selon la volonté de Muhammad, il l’enseignait à Ali depuis deux années.
Puisqu’il n’était plus possible d’aller porter la parole d’Allah dans les rues et les champs de Ta’if, Muhammad ordonna que chaque jour, après la prière de l’aube, Zayd et Ali fassent la lecture des rouleaux à toute la maisonnée. Ils devaient lire et traduire dans la langue du Hedjaz : pour eux deux un exercice difficile ; pour les autres, l’apprentissage de la patience.
— Vous devez être attentifs et capables de faire fonctionner votre cervelle, disait Muhammad. Ce sera une grande éducation pour vous tous, surtout pour vous, les femmes, que d’apprendre comment Allah le Tout-Puissant a déjà, et depuis longtemps, fait retentir Sa voix et sentir Sa présence aux vivants.
Sans surprise, Ashemou se montra très vive et absorbée par ses études. Elle retenait sans peine les nombreux noms que Zayd et Ali prononçaient. Ces aventures marquaient Fatima. Le soir, dans
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