Fatima
crispées.
— Fatima, murmura-t-elle en fronçant le sourcil. Que fais-tu ici ?
Mais Fatima était déjà debout, tendue comme un arc. Elle fixait le ciel. Un ciel bleu, immense et profond comme une mer, ainsi qu’il était toujours à Ta’if. Et pas un seul nuage.
Aussi loin que l’on pût voir, pas un seul nuage !
Ashemou referma les mains sur ses épaules. Elle répéta tendrement sa question. Fatima hésita. Pouvait-elle confier la vérité à Ashemou ?
Non, non !
Et moins encore à Ashemou qu’à quiconque. Devant Ashemou, qui devinait tout au premier coup d’oeil, elle ne devait rien dévoiler de ses émotions, de ses pensées, ni même de sa terreur.
Elle cria, à travers les sanglots qui lui venaient :
— Je suis venue prier Allah le Tout-Puissant !
L’étonnement figea Ashemou. Bien sûr, elle n’était pas dupe. Mais quand elle ouvrit la bouche pour une nouvelle question, Fatima courait déjà vers les escaliers.
— Viens vite ! Dépêche-toi ! Mon père va commencer la prière.
Et dans les jours qui suivirent, toute la maisonnée vit Fatima devenir une jeune fille pieuse, ardente à connaître par coeur chacune des paroles que le Rabb Clément et Miséricordieux avait enseignées à son Messager par l’intermédiaire de l’ange Gabriel.
Cependant, dans le même temps, tout devint si terrible, et si rapidement, qu’on y prêta peu attention. Et pour Fatima, ce fut comme si le Tout-Puissant n’avait plus qu’une volonté : faire retentir Sa colère sur sa tête.
Muhammad adopte Ali
Dès que la prière commune fut achevée, Fatima alla devant Zayd et lui déclara :
— Toutes les paroles que mon père a reçues de notre Rabb, tu dois me les enseigner.
Le cousin Ali était à portée d’oreille, faisant lui aussi son étude assis devant les rouleaux de Waraqà. En entendant Fatima, il éclata de rire.
— Veux-tu devenir savante comme un garçon ? lança-t-il du ton arrogant qui pouvait être le sien. Comment ! T’intéresserais-tu à autre chose qu’aux méharis, aux nimcha et à la bagarre, toi, la fille qui ne veut pas être fille ?
Fatima rougit jusqu’à la racine des cheveux. Depuis leur arrivée à Ta’if, c’était ainsi qu’Ali s’adressait à elle. Il ne manquait jamais une occasion de se moquer. Plus d’une fois, Fatima lui avait répliqué sur le même ton grinçant. Elle n’y voyait rien d’autre que la bêtise si commune qu’entretenaient les garçons envers les filles. Il leur fallait beaucoup plus que des études dans la langue des Hébreux pour que cela leur passe, avait-elle dit un jour à Ashemou qui s’en était souciée.
Mais ce matin, la raillerie la fit trembler. Ali aurait-il lui aussi perçu les pensées qu’elle avait pour Abd’Mrah ? L’aurait-il épiée sur la terrasse, la nuit ?
Depuis toujours, leur relation était ambiguë. Un jour, Ali se montrait tendre comme un vrai cousin. Le lendemain, il n’avait qu’ironie et sarcasmes pour elle qui, en retour, se voulait indifférente. Cependant, avant qu’ils ne quittent Mekka, précisément lorsqu’elle était revenue dans la cour sur le méhari blanc offert à son père par Abd’Mrah, elle avait remarqué qu’il la surveillait et se montrait plus enclin encore que d’habitude à se moquer.
Ali cherchait-il à la prendre en faute ? Pourquoi ? Parce que lui, fils de puissant, méprisait un simple Bédouin ?
Elle serra ses paumes l’une contre l’autre pour masquer leur tremblement. Elle n’osa pas affronter le regard d’Ali, mais trouva au moins assez de calme pour lui répondre :
— La fille du Messager ne doit-elle pas connaître chaque mot de ce qu’il enseigne à ceux qui choisissent Allah ?
Ali gloussa encore, sans trouver de nouvelle réplique.
D’un regard affectueux, Zayd fit comprendre à Fatima qu’il ne partageait pas les railleries d’Ali.
— Bien sûr que tu pourras apprendre, approuva-t-il. Notre père en sera content. Ses autres filles ne montrent pas autant de désir que toi d’être près d’Allah.
Fatima baissa les paupières. Le bon, le tendre Zayd ne pouvait rien imaginer de ce qui la poussait si soudainement à l’étude.
Elle remercia et tourna les talons pour rejoindre le quartier des femmes. Avant qu’elle ne quitte la pièce, Ali lui lança, la voix pleine d’excitation :
— Fatima… C’est un grand jour, aujourd’hui. C’est un grand jour, tu vas l’apprendre bientôt.
Ce que voulait dire
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