Fatima
joue gauche. Sa barbe avait adouci le choc mais le sang y poissait. Le Messager les repoussa. Il s’inquiéta, demanda à Fatima :
— Comment, Abdonaï n’est toujours pas là ?
Elle ressortit devant la maison. Zayd vint à ses côtés, un bâton à la main. La longue ruelle était déserte. Le silence était retombé sur Ta’if. Chacun était rentré chez soi, vaquait à ses affaires. Comme si rien n’était survenu un peu plus tôt.
Un pressentiment terrible envahit Fatima. Elle n’hésita pas longtemps. Elle lança à Zayd :
— Je vais aller voir. Peut-être est-il blessé.
Zayd voulut la retenir :
— Non, Fatima ! Il vaut mieux que tu restes avec nous. Les chemins ne sont pas sûrs.
Mais Fatima ne répondit pas, elle courait déjà. Elle franchissait la porte quand la voix de son père l’arrêta :
— Fatima ! Fatima !
Il était sur le seuil de la maison, près de Zayd. Il agitait les bras vers elle. Les autres, Abu Bakr, Ali, Ashemou, se pressaient derrière lui.
— Fatima, reviens ! Ta place est ici, près de moi.
— Père ! cria-t-elle, essoufflée, en revenant sur ses pas. Si Abdonaï…
Soudain, elle s’immobilisa. Le regard de Muhammad disait ce qu’elle craignait. Une douleur aiguë l’envahit.
Quand elle fut revenue près de lui, son père murmura :
— Allah décide. Et nous, ma fille, nous devons prier.
Il fallut attendre jusqu’au coeur de la matinée pour que des paysans poussent un âne devant la porte de la demeure de Khadija bint Khowaylid.
Le corps du Perse gisait sur le dos de l’animal, les jambes, la tête et les bras ballants. Les paysans le laissèrent glisser sur le seuil, comme un sac de grain, avant de s’éloigner.
Le visage d’Abdonaï était méconnaissable. Il avait fallu plus d’une grosse pierre et une montagne de peur et de férocité pour en arriver là.
Lorsque Ashemou et la tante Kawla lavèrent son vieux corps, elles trouvèrent sur son torse d’autres traces de coups, et sa dague avait disparu. Peut-être Abdonaï s’était-il défendu, dirent-elles.
Fatima ne voulut pas le croire. Si Abdonaï s’était défendu, il serait en vie devant eux. Avant de fuir le champ, elle l’avait vu qui ne levait pas même son bâton ferré contre les enfants.
— Pourquoi ? demanda-t-elle à son père.
Muhammad ne répondit pas tout de suite.
Puis il dit :
— Quand Allah voudra que nous trouvions la réponse, nous la trouverons.
Des mots qui glissèrent de nouveau un frisson glacé sur le corps de Fatima. Si Muhammad avait raison, comme toujours, alors le Seigneur Tout-Puissant lui avait certainement fait comprendre d’où était venu le coup qui avait tué Abdonaï, Abdonaï l’indestructible.
Plus tard, au crépuscule, le corps martyrisé du fidèle Perse fut enseveli dans le petit cimetière de la maison de Khadija. Fatima, ruinée de douleur, de colère et d’impuissance, ressentait une crainte terrible qu’elle ne pouvait confier à personne, quand des coups frappés à la porte d’entrée la firent sursauter. Un puissant de Ta’if, un vieillard des Thaqîf, bien connu pour n’être qu’un vil serviteur des Harb et des al Çakhor d’Abu Sofyan, voulait rencontrer Muhammad.
Celui-ci refusa qu’on l’accueille. L’homme insista.
Comme personne ne lui ouvrait, il cria ce qu’il avait à dire à travers la grille de l’huis :
— Muhammad ibn ‘Abdallâh ! Muhammad le Fou ! On t’avait prévenu. Ici, on ne veut pas de toi. Tu sèmes le mauvais, et ton haleine pue l’enfer. Tu forniques avec les djinns et tu vas attirer sur nous la colère d’Isâf notre bien-aimé. Et celle d’Al’lat, pire encore ! Ibn ‘Abdallâh, le Conseil de Ta’if a pris sa décision. À l’aube, tu déguerpis. Toi et toute ta maisonnée, vous déguerpissez. Si tu n’as pas quitté ta maison avant que le soleil fasse ses ombres, tu n’en sortiras plus. Je le dis. Tu y crèveras, comme ton Perse dans les champs. Et on te laissera pourrir dans ta cour jusqu’à ce que la vermine ait nettoyé tes os. Tu peux en être sûr.
Persécutions
Le retour à Mekka fut une marche de nu-pieds sur des épines.
Quatre jours durant, ils allèrent en silence. La dizaine de bêtes qui les suivait avançait au pas. Ils s’interrompaient dix fois entre l’aube et le crépuscule pour la prière. La nuit aussi, le Messager les réveillait.
L’absence d’Abdonaï se faisait sentir. Dans chaque prière, il était présent. Fatima
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