Fatima
finira par mal tourner !
Muhammad feignit de ne pas l’entendre. Il avança sous les quolibets. Abdonaï poussa Fatima :
— Ne le quitte pas ! Ne le quitte surtout pas !
Elle courut se placer à côté de son père. Jamais encore elle n’avait entendu autant de haine vibrer dans l’air. L’effroi lui contractait les reins. Muhammad le sentit. Il tourna vers elle un visage si serein qu’elle y puisa du courage. Cette fois, elle fit face aux enfants. Elle n’hésita pas à frôler ceux qui s’approchaient trop. Quelque chose dans ses yeux dut les effrayer. Ils s’écartèrent en criant :
— Al shaytân, al shaytân [11] ! C’est une fausse fille ! C’est un djinn déguisé !
Comme dans le jardin précédent, des hommes s’interposèrent devant les femmes. Muhammad leva les mains vers eux et commença à parler avant qu’ils n’ouvrent la bouche. Cela dura à peine le temps que leur surprise se dissipe. À nouveau ils crièrent qu’il était un prophète de malheur, un menteur, un destructeur des dieux de Ta’if.
— Tu viens pour menacer, dans cette vie comme dans l’autre ? Et avec ton démon de fille et ton vieux manchot ? s’écria l’un d’eux, ricanant, en désignant Fatima et Abdonaï.
Muhammad répondit :
— Je n’ai que des mots, rien que des mots. Écoutez-les !
Il n’avait pas élevé la voix. Fatima sentit pourtant son impatience sous son calme apparent. Maintenant d’autres paysans approchaient. Ils criaient et levaient le poing. Fatima se retourna. Abdonaï était entouré d’enfants et de femmes qu’il maintenait à distance, grondant aussi fort qu’eux. Elle vit un gamin se baisser, prendre une poignée de terre humide et la lui lancer au visage. Elle s’écrasa sur sa joue et sa bouche. Il la recracha, s’essuyant de son poignet de cuir. Les gosses rirent. En un éclair, ils eurent tous la main dans la terre. Abdonaï fit tournoyer son bâton. Fatima l’entendit hurler de rage. Puis il cria :
— Saïd, ne reste pas là !
Déjà les hommes les bousculaient, les repoussaient. Quelques-uns frappèrent Fatima à l’épaule. Un coup fit trébucher son père. Elle lui agrippa le bras. Ils reçurent de la boue en pleine face. Fatima se colla contre Muhammad, le poussant dans la terre meuble où s’enfonçaient leurs sandales.
— Père, père, il faut courir !
Puis ce fut la première pierre. Elle ne sut jamais qui l’avait lancée. Peut-être un enfant. Elle rebondit sur l’épaule de Muhammad, tout près de son oreille.
Elle vit l’étonnement dans le regard des hommes les plus proches. Puis l’excitation. D’autres pierres les frappèrent tandis qu’elle tenait son père par la manche de son manteau. Muhammad résistait :
— Les pierres ne sont que des cailloux. Elles ne font pas mal.
Puis l’une d’elles, grosse comme un poing, frappa Fatima à la cuisse. Elle trébucha, mit un genou au sol, vit Abdonaï qui protégeait son visage de son poignet de cuir. Les gamins tournaient autour de lui comme dans une farandole. Les femmes riaient. Il ne levait plus son bâton contre les enfants. Elle songea qu’il cherchait à attirer le ridicule sur lui, pour permettre à Muhammad de s’éloigner.
Elle saisit le bras de son père.
— Vite, vite ! Abdonaï nous protège.
Muhammad la retint malgré tout, dévoré de rage et d’humiliation, jusqu’à ce que des pierres, plus lourdes, lui frappent le flanc.
— Père, viens ! cria Fatima. Ils veulent nous faire mal… Hommes, femmes, enfants, tous exultaient, lançant tout ce qui leur tombait sous la main, s’époumonant, se brisant la voix en insultes et menaces :
— Où est-il, ton Rabb, Muhammad le Fou ? Où est-il, ton Tout-Puissant ! Ton Juste, ton Clément et Miséricordieux ! Où est-il ? Vois comme Il te protège !
Abdonaï n’est plus
Les cris avaient résonné loin dans Ta’if. Craignant le pire, Zayd et Ali, sortis de la maison, accoururent à la rencontre de Muhammad et de Fatima. Quand ils les trouvèrent, plus personne ne les poursuivait. Mais sur les seuils des cours et des échoppes, sur le dos des mules, ils ne croisèrent que des regards mauvais et des poings levés.
Lorsque enfin ils atteignirent la cour, Abu Bakr ordonna de rabattre la barre de la grande porte.
— Non ! protesta Fatima. Attendons Abdonaï !
Les femmes de la maisonnée entourèrent Muhammad. Ses vêtements étaient souillés. Un caillou avait éraflé son menton et sa
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