Fatima
inconnue.
En comparaison de ce destin fabuleux, quelles épousailles auraient pu l’attrister et la rendre jalouse ?
Aucunes, aucunes !
Mais qui pouvait le savoir ?
Personne. Pas même Ashemou.
Les nouvelles de Yatrib
Alors que cessaient enfin la saison des pluies, celui qui frappa à la porte d’Al Arqam, Muhammad l’attendait depuis longtemps. Tamîn al Dârî, son cher compagnon, était de retour !
Les nouvelles qu’il apportait bouleversèrent chacun comme un souffle de vie.
Tamîn était né à Hébron, en Palestine. Il y avait fait le gros de ses affaires avec la communauté des Juifs, qui le respectaient grandement. Ce commerce, sur le chemin du retour à Mekka, le conduisait souvent dans l’oasis de Yatrib. Les habitants en étaient des Juifs descendants d’Abraham, à l’exception de deux clans : les Aws et les Khazraj. Originaires du lointain Sud, ces derniers ne s’étaient installés à Yatrib que depuis peu de générations.
Au repas du soir offert par Abu Bakr après la prière, Tamîn cala son corps gras et agile contre des coussins et raconta :
— Autrefois, les maîtres de l’oasis étaient les Juifs Banu [15] Qurayza. Ils maintenaient la paix et réglaient le commerce. Mais aujourd’hui, c’est fini. Aujourd’hui, les puissants de Yatrib sont les Aws et les Khazraj. Les pères de leurs pères venaient du sud de Mekka. Par malheur, ils ne cessent de s’opposer aux Juifs. Tous les prétextes leur sont bons. Mais les disputes ruinent la paix et les affaires, alors les plus sages désirent l’unité entre tous les clans de Yatrib. Pourtant, ils craignent le Dieu des Juifs. Ils le devinent plus puissant que leurs idoles.
Le plat contenant des dattes fourrées et des figues baignant dans du lait de chamelle passa de main en main. Tamîn y puisa quelques fruits avant de continuer :
— Les fils sont lassés des disputes de leurs pères. Ils se mettraient volontiers sous le pouvoir du Dieu d’Abraham. Ils disent : « Les Juifs possèdent une écriture et ils en savent plus que nous tous sur le monde. Quand nous nous opposons à eux, ils nous disent : “Un prophète va venir, comme est venu Moïse. Il vous soumettra, vous, les païens, car vos dieux ne sont que pierre et bois. Notre génération vient d’Abraham, elle a tout vu de la naissance du monde. Placez-vous dès maintenant sous la paume de Yahvé, et la paix ira entre nous.” Ils ont raison. » Les anciens des Aws et des Khazraj rechignent. Ils disent : « Ce Dieu de Moïse est peut-être grand, mais il est du Nord et nous sommes du Sud. Jamais il ne sera notre Dieu. Il fera de nous ses esclaves. » Si bien que personne ne trouve de solution. Sauf que…
Tamîn fixa Muhammad dans les yeux.
— … sauf que, quand je leur ai parlé d’Allah et de son Messager, les Aws comme les Khazraj se sont écriés : « S’il en est un qui peut nous unir, le voilà ! Et Son Messager, peut-être est-il le prophète que nous annoncent les Juifs ? S’il vient ici, il prendra soin de nous avant de prendre soin d’eux !» Et maintenant, Messager, les Aws et les Khazraj n’ont plus qu’un désir : te rencontrer.
À sa manière paisible et confiante, Tamîn observa les visages qui lui faisaient face : les sourcils froncés d’Abu Bakr et d’Al Arqam, l’air patient de Muhammad. Il ajouta avec douceur :
— Ces jours-ci, sur la route de Mekka, je me réjouissais de vous annoncer cette nouvelle. De vous dire : « Compagnons ! La parole du Messager d’Allah vole de plus en plus loin !» Mais voilà, vous me racontez qu’ici, dans Mekka, la vie des croyants en Allah n’est plus possible. Vous m’assurez qu’il nous faut émigrer. Fuir, comme Moïse et son peuple ont fui la cruauté de Pharaon. Et moi, je vois que le Tout-Puissant s’est servi de moi pour désigner notre terre du futur. Muhammad, convie ici des habitants de Yatrib. Convaincs-les de nous accueillir tous. Je te le promets, ils t’écouteront et en seront heureux.
Le débat fut intense. Beaucoup d’entre eux avaient déjà séjourné une fois ou l’autre à Yatrib, profitant de sa fraîcheur au retour de Ghassan ou avant la périlleuse traversée des plateaux du Maydan. À six journées de chameau de Mekka, Yatrib était une vaste oasis, si verte et si humide que l’on y oubliait le sable et la poussière du Hedjaz. La population y était à peine le tiers de celle de Mekka. On y cultivait tous les légumes, on y marchandait
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