Fatima
fille Ruqalya que seul un Dieu invincible et Tout-Puissant pouvait avoir engendré une femme aussi belle qu’elle. C’était déjà il y a quatre années. Elle était mariée à Utbal, le fils sans âme d’Abu Lahab – que son coeur soit putréfié ! Durant ces quatre ans, j’ai vu bien des femmes, Messager. Ici, à Mekka, au sud, à Sanaa, Zafar ou Maris. Au nord, aussi, dans tout Ghassan. Tu les connais. Juives ou chrétiennes, elles ne manquent jamais une occasion de se montrer avenantes dès qu’elles sentent le désert sur notre peau. Malgré tout, la beauté de Ruqalya n’a cessé de m’enchanter. Aussi loin que je sois allé pour le commerce, je n’ai eu qu’un désir : revenir près d’elle à Mekka. Et sans mauvaises pensées ! Je me contentais de l’admirer lorsqu’elle allait ici ou là. Et, durant ces quatre années – qu’Allah le Tout-Puissant me transforme en pierre si je mens – je n’ai jamais rien cherché à obtenir d’elle. Ta Ruqalya était dans la couche de cet Utbal. Une charogne sans regard ni goût ! Un fils de rien ! Mais tu l’avais choisi pour elle…
Il soupira, puis reprit avec exaltation :
— Allah est Dieu, il n’y a que Lui ! La vie d’hier n’est pas celle d’aujourd’hui ni celle de demain. Loué soit le Clément et Miséricordieux ! Utbal a renié ta fille. Alors aujourd’hui me voilà, ô Envoyé. Donne-moi ta Ruqalya, cette beauté aussi unique que le Seigneur Tout-Puissant. Tu pourras tout attendre de moi. Comme tu le sais, je suis assez riche pour ne rien devoir à ceux de mon clan. Ils copulent avec les démons et les déesses du diable îflis, pas moi.
Muhammad ne répondit pas. Sous les poils de sa barbe, on pouvait deviner la satisfaction autant que l’amusement.
‘Othmân ne pouvait le voir : la fraîcheur apportée par la pluie était impuissante à calmer le feu de ses pensées et de ses craintes.
Il marcha ainsi, comme sur les cactus du désert, jusqu’au seuil de la maison d’Al Arqam. Là, Muhammad fit signe à Bilâl de reprendre les manches du dais, puis il se tourna vers le jeune homme :
— ‘Othmân ibn Affân, demanda-t-il, connais-tu déjà des versets que notre Rabb nous enseigne comme étant les mots de notre Loi ?
‘Othmân grimaça en baissant le front.
— Quelques-uns seulement. Pas beaucoup, Envoyé, pas beaucoup. Je n’ai pu apprendre qu’à l’occasion, auprès de ceux que mon clan n’effraie pas.
— En ce cas, jeune ‘Othmân, j’espère que ta vie prochaine auprès de ma fille Ruqalya te sera belle et longue, afin que tu puisses les apprendre tous et ne jamais les oublier.
Ce jour-là, nul ne put échapper aux cris de joie de Ruqalya. Fatima fit de son mieux pour cacher sa mauvaise humeur.
Que son père fût satisfait de donner sa seconde fille, la répudiée, au riche ‘Othmân, elle n’en doutait pas. À Ashemou, qui l’observait de son regard qui devinait tout, elle sut dire avec un sourire :
— Elles sont innombrables, les ruses d’Allah et de mon père pour augmenter le nombre des croyants…
Elle connaissait les pensées d’Ashemou et de la tante Kawla. Celles-ci craignaient sa tristesse, peut-être sa jalousie, devant le bonheur de sa soeur. Elles avaient peur que le souvenir d’Abd’Mrah de nouveau ne la ronge.
Comme elles se trompaient ! Ce n’était pas ainsi que Fatima songeait à Abd’Mrah. Jamais. Pour eux deux, pour Abd’Mrah et elle, jamais elle n’avait imaginé ce commun et vulgaire bonheur des épousailles. Elle n’était pas faite pour cela. Pas plus qu’Abd’Mrah ne l’avait été pour devenir un triste époux.
Même si Allah l’intransigeant n’en avait pas fait son martyr, non, ils ne seraient pas devenus mari et femme. Ils seraient devenus des guerriers. Elle et lui, unis comme deux mains sur la garde d’une même nimcha au service de son père, le Messager.
Voilà comment elle pensait à Abd’Mrah.
Dans ses plus beaux rêves éveillés, ils galopaient côte à côte, volant au-dessus des déserts de roche et de poussière, tantôt sur des méharis magnifiques, tantôt sur des chevaux d’une race incomparable. Avec le même courage, la même insouciance, ils abattaient et défaisaient les plus puissants, les plus cruels, les plus acharnés ennemis d’Allah et de son Messager. Ils abattaient les démons, tranchaient les djinns et, dans leur sillage, comme caressé par le souffle frais d’une oasis, naissait un royaume à la splendeur
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