Fatima
Messager le savait depuis longtemps. Elle l’apprenait.
Les pèlerins
Un après-midi, au plus chaud du jour, le front suant et soucieux, Al Arqam s’approcha de Muhammad. Le Messager était plongé dans une longue étude des rouleaux de Waraqà avec l’aide de Zayd et d’Ali.
— Muhammad, qu’Allah soit Clément pour toi dans l’éternité ! Pardonne le dérangement. Je suis porteur d’une très mauvaise nouvelle. Mon oncle Abu as Alkr, le dernier des Omayya qui m’adresse encore la parole, m’a convié chez lui. Il m’a mis en garde. Ceux de la mâla veulent ta fin pour bientôt. La clique d’Abu Lahab s’obstine comme une nuée de vautours. Abu Sofyan et ses soutiens gagnent de plus en plus de voix au Conseil. Leur plan est d’unir tous les clans de Mekka pour ta mort. S’ils y parviennent, moi-même, je ne pourrai plus te protéger.
Zayd laissa tomber un des rouleaux d’écriture.
— Mon oncle Abu as Alkr m’a dit qu’il allait prendre leur parti, poursuivit Al Arqam. Si les vautours touchent à ma maison, il ne réclamera pas vengeance pour moi. Chez les Abd Manâf, c’est pareil : on se détourne de moi. Ma parole n’y pèse plus rien. Bientôt plus un clan ne s’opposera à ta mort. Chez les Abd Muttalib et les cousins de ton père Abdallâh, seule une poignée rechigne encore à te renier, en souvenir de ton épouse Khadija. Mais, tôt ou tard, ils céderont. Yâkût alors sera devant toi… Ou un autre qui, en ce moment, devient pire qu’Abu Lahab et ses complices. Tu le connais : au temps de la saïda bint Khowaylid, vous avez fait des affaires ensemble. C’est Omar ibn al Khattâb al Makhzum. Aujourd’hui, il va partout clamant qu’il faut en finir avec toi. Sa soeur Fatima est partie avec ‘Othmân et tes filles sans son accord. Il est entré dans une rage folle en l’apprenant. On dit que, ce matin, Abu Lahab lui-même l’a empêché d’aller te trancher la gorge. Il avait déjà sa lame en main. Tout à l’heure, je l’ai vu de mes yeux sur le parvis du grand marché qui hurlait à qui voulait l’écouter : « Mekka est dans les larmes, et c’est la faute d’un seul, Mohammad le Putréfié ! Ce bâtard des démons sépare le fils du père, les frères des soeurs, et les frères entre eux. Ibn Abdallâh est impuissant dans sa couche ! Al’lat lui a fermé les cuisses, alors il veut ruiner la paix de Mekka. Tant qu’il sera debout et crachera ses mots empoisonnés, il n’y aura que trouble et malheur dans nos maisons ! Il chasse nos esclaves, nos filles, nos soeurs et nos épouses pour en faire des suceuses de djinns ! Qu’attendons-nous pour mettre fin à ce chaos ?»
Zayd et Ali se redressèrent, blancs de rage.
Dans Mekka, Omar ibn al Khattâb était redouté. Il n’était pas seulement très riche et très puissant. Il maniait l’épée avec une fureur à peine humaine. Austère et intransigeant, il pouvait, d’un coup de poing sur le front, assommer un cheval qui n’allait pas l’amble selon sa volonté. Plus d’une fois, on l’avait vu torturer et dépecer l’un ou l’autre de ses serviteurs qu’il avait surpris récitant des paroles venues d’Allah. S’il en était un à craindre comme le souffle d’îflis, c’était lui.
Pourtant, devant les visages défaits de ses compagnons, Muhammad ne fit que murmurer :
— Omar est Omar. Dieu est Dieu. Celui qui tient Sa poigne sur l’autre, on Le connaît.
C’est à cet instant que surgit Tamîn.
— Six pèlerins sont arrivés de Yatrib ce matin, annonça-t-il. En ce moment, ils prient dans la Ka’bâ. Ils m’ont reconnu et sont venus vers moi comme si j’étais le Seigneur en personne – Puisse-t-Il me pardonner cette vanité ! Voilà, Messager : Allah le Clément et Miséricordieux nous désigne le chemin.
Les bras de Tamîn dessinaient des ombres mouvantes sur les murs. Volubile, il raconta :
— Moç’ab a accompli sa mission au-delà de toute louange. Les gens de Yatrib ne tarissent pas d’éloges sur lui. Sa parole fait merveille non seulement auprès des Aws et des Khazraj, mais aussi auprès des Juifs, qui l’écoutent avec attention. Tous se montrent impatients de connaître ce Messager qui porte une parole si proche de leurs écritures.
— Pourquoi ne les as-tu pas amenés dans ma cour ? s’étonna Al Arqam.
Tamîn avait l’air réjoui.
— Ils veulent rester discrets. Ils connaissent trop bien l’arrogance et l’intransigeance de ceux de
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