Fatima
Mekka dès qu’on touche aux idoles de la Ka’bâ. Ils n’ignorent pas les menaces qui pèsent sur nos croyants. En outre, recevoir notre émigration, nous accorder de la place à Yatrib et nous offrir leur protection, ce n’est pas une décision légère. Il disent : « Le Messager doit savoir à quoi s’attendre. Et nous aussi. Il en est forcément dans Yatrib qui s’opposeront. Nous ne sèmerons pas les mauvaises moeurs de Mekka chez nous. Tout au contraire, la venue de l’Envoyé n’aura qu’un but : la paix pour l’avenir. »
— C’est bien, intervint Muhammad. Ils sont sages. Ils veulent un prophète et non un guerrier. Comme les Juifs en leur temps, ils veulent un nâbi portant sans arrogance les paroles du Seigneur. Qui le leur reprocherait ?
Tamîn approuva :
— Tu as compris. D’autant qu’ils sont riches. Ils commercent avec ceux de Ghassan, ceux de Maydan, ceux du Hedjaz. Et aussi : les armes forgées dans Yatrib sont fameuses, tous les clans en possèdent, jusque loin dans le Nord.
La gaieté de Tamîn s’estompa. Embarrassé, il ajouta :
— La peur, ils l’ont aussi. Tout à l’heure, devant la source Zamzam, ils ont entendu Omar ibn al Khattâb vociférer contre toi. Ils le connaissent bien. Les nimcha dont il est le plus fier ont été forgées à Yatrib. Ils savent ce que valent ses menaces.
Muhammad vit les regards qui s’échangeaient. Il ne perdit pas son calme.
— Il n’y a aucune raison que cela se passe facilement. Quand Mûsâ mena son peuple loin de Pharaon, Allah ne lui traça pas un chemin de soie…
Il attendit que chacun opine avant de demander :
— Que proposent-ils ?
— Une rencontre dans trente jours, à l’occasion du grand marché. Nul ne les soupçonnera. Ils seront en nombre suffisant pour te voir, t’entendre et décider.
— C’est bien, je suis d’accord. Mais d’abord, je dois leur parler. Cette nuit, attends que la lune passe à l’est et conduis-les sur la route de Mina, après le cimetière d’al Ma’lât. S’ils n’en ont pas le courage, comment auraient-ils celui de nous accueillir ?
Au deuxième tiers de la nuit, ils quittèrent la maison d’Al Arqam ensemble, mais, pour plus de sûreté, se divisèrent en petits groupes. Muhammad, Zayd et Fatima empruntèrent un chemin, Abu Bakr, Bilâl et Al Arqam un autre. Ils se retrouvèrent près du cimetière. Là, des garçons bédouins vinrent saluer Muhammad. Ils s’inclinèrent devant lui.
— Tamîn al Dârî nous envoie à ta rencontre pour te conduire jusqu’à lui, Messager, chuchota le plus âgé d’entre eux.
Abu Bakr posa la main sur le bras de Muhammad.
— Comment peux-tu savoir que ces gosses ne nous trahiront pas ?
— Je les reconnais, dit Fatima en se plaçant de leur côté. Ceux que tu vois là ont déjà risqué leur vie pour mon père sur le parvis du grand marché. Ils étaient avec Abd’Mrah.
Muhammad glissa sa main dans celle d’un jeune Bédouin.
— Montre-nous le chemin, dit-il.
Un instant plus tard, après s’être engagés dans un étroit et très obscur labyrinthe de roches où ils avançaient les uns derrière les autres, chacun retenant le vêtement de celui qui le précédait, ils débouchèrent sur une clairière ouverte sous le feu des étoiles. Tamîn s’y trouvait en compagnie des envoyés de Yatrib.
Depuis un moment déjà, le coeur de Fatima tapait fort. Malgré l’obscurité, elle avait reconnu la cachette où Abd’Mrah, à leur dernière rencontre, lui avait confié le méhari blanc qu’il offrait à son père.
Un jeune Bédouin émit un sifflement. Tamîn aperçut le grand manteau et le chèche clair de Muhammad. Soulagé, il marcha à sa rencontre.
— Voici l’Envoyé, annonça-t-il aux gens de Yatrib.
Ils étaient six, trois Aws et trois Khazraj, serrés autour de deux mèches de lampe. Inquiets, ils se levèrent. Après les salutations et une courte prière commune qu’ils avaient apprise de Moç’ab, Muhammad récita un peu de son enseignement. Il leur parla aussi des prophètes vénérés par les Juifs de Yatrib :
— Ceux-là sont venus à leur peuple par la seule décision d’Allah, l’Unique. Et, en leur temps, le Seigneur a donné à ces nâbi la constance pour guider ceux qui se soumettaient à leurs mots. Mais qui les écoutait ? Ainsi est la vérité : le jour du jugement approche, pourtant les hommes demeurent inconscients. Du porteur de message, ils disent : « Voilà
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