Fatima
déroulant le rouleau.
— C’est écrit dans la langue des Hébreux !
— Pas seulement, répliqua Muhammad. Dans celle de Mekka, aussi. Les Juifs de Yatrib doivent savoir que nous ne sommes pas ignorants d’Abraham et de Moïse.
Les mains de Muhammad se posèrent sur les épaules de Zayd et d’Ali. Il dit avec douceur :
— Ce sont mes fils par l’adoption. Ils savent lire et écrire ce qu’il faut lire et écrire.
L’accord ne fut pas long à trouver. Ils décidèrent que les croyants de Mekka prêts à émigrer à Yatrib partiraient par petits groupes, et de nuit. Ainsi, personne ne s’en apercevrait. Abu Lahab et Abu Sofyan ne pourraient s’interposer.
Muhammad dit :
— Quand tous ceux qui le souhaitent seront loin, je vous rejoindrai à mon tour.
— Ma maison t’accueillera aussi longtemps que tu le voudras ! s’exclama aussitôt Abu Ayyûb.
Le reste de la nuit, tous suivirent l’enseignement et la parole du Messager.
À l’instant où Muhammad s’apprêtait à quitter la tente pour regagner la Ka’bâ, l’un des hommes de Yatrib, silencieux et attentif jusque-là, s’approcha pour lui faire face. Il le salua d’une inclinaison.
— Ibn Abdallah ! dit-il.
Sous son chèche très serré, son visage était long et mince, sa barbe blanche taillée avec soin, et ses pupilles ressemblaient à deux points ardents.
— Ibn Abdallâh, répéta l’homme. Mon nom est Ubadia ben Shalom. Je suis un Juif de Yatrib, un Banu Salma. Pour mon peuple, je suis un rabbi.
Tous les yeux se posèrent sur eux et le silence se fit. Zayd murmura à Muhammad :
— Il a dit son nom en hébreu. Dans la langue de Mekka, c’est « ibn Salam ». « Rabbi », c’est le nom que l’on donne chez eux à celui qui lit et explique les écritures.
D’un air amusé, ben Shalom approuva d’un signe.
— Ton fils traduit parfaitement, dit-il.
— Il est de Kalb, expliqua Muhammad. Votre langue, il l’a apprise enfant. Il me l’enseigne aussi un peu.
— Tu pourras venir l’apprendre tout entière dans nos écoles de Yatrib, proposa ben Shalom. Ce sera un plaisir pour les miens de t’y accueillir. Comme cela a été un plaisir de t’entendre parler des nâbi de notre peuple.
Muhammad plissa les paupières.
— Tu as une question pour moi, ibn Salam ?
— Pas une question. Seulement une pensée. À Yatrib, les nôtres voudront savoir si tu es un vrai ou un faux nâbi. Tu ne pourras les éviter.
— Telle n’est pas mon intention. Une chose est de se battre contre les païens et les idolâtres qui souillent la Ka’bâ, ici, à Mekka. Une autre est de répandre les paroles d’Allah parmi ceux qui lisent le livre de Moïse. L’ange a posé ces mots dans mon coeur : « Ô mon peuple, je ne vais que dans l’évidence de mon Rabb. Je ne vais pas contre vous et vos préventions. La Réforme qui vient dans mes mots est celle de la paix ; pour être devant vous, je n’ai d’autre appui que Dieu [22] . » Si la question que tu ne poses pas, ibn Salam, est : « Muhammad le Messager vient-il à Yatrib l’arme à la main et la parole de Dieu dans le coeur ?», tu connais la réponse.
Muhammad ouvrit grand son manteau, montra sa ceinture qui ne retenait pas même un poignard.
— Allah me conduit à Yatrib avec le désir de paix.
Ubadia ben Shalom éclata de rire.
— Ibn Abdallâh, tu sais lire dans les esprits bien plus que tes mots ne le révèlent quand ils passent tes lèvres.
Son amusement s’interrompit brusquement. Ses doigts lissant sa barbe nette et ses yeux fouillant ceux de Muhammad, il s’exclama, assez fort pour que tous l’entendent :
— Que tu sois l’Envoyé d’Allah, je veux bien le croire. Que tu sois le frère de Moïse, le fils d’Imrân, Messager des Lois de Dieu et envoyé pour la même mission que lui, je veux bien le croire aussi. Je le dirai à ceux qui m’écoutent dans nos madrasa de Yatrib. Nous verrons ce qu’ils en penseront en te voyant devant eux. Car tu dois venir, Muhammad ibn Abdallâh. Tu dois venir, il n’y a pas de doute !
Autour d’eux, la tension s’évanouit. Il y eut des cris de joie, des embrassades. Les uns et les autres entourèrent Muhammad. Petits ou grands, frêles ou forts, ils donnèrent leur nom :
— Je suis Huyayy ibn Akhtab.
— Je suis Abu Yassûr.
Tous répétèrent :
— À ton arrivée à Yatrib, ma maison sera tienne. Tu n’auras plus rien à craindre. Nous, les Banu Qaynuqâ, nous
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