Fatima
parties inconnues de l’oasis, incroyablement plus étendue que ceux de Mekka ne l’avaient d’abord imaginé, ou ce que mangeaient ses habitants et comment ils se divertissaient.
— Les gens de Yatrib sont pieux, remarquait-il. Mais ils sont riches, et ils aiment le confort autant que la distraction. Quand notre père parle sévèrement de la vie et des comportements que chacun doit adopter, comme cela lui arrive souvent, ils se renfrognent et examinent longuement la pointe de leurs babouches. Aujourd’hui, Omar l’a noté. Il a dit : « Envoyé, permets-moi de te prévenir : tu ne chantes pas assez joyeusement pour ceux-là. » Notre père a ri en frappant le bras d’Omar. « Un jour, le plus sévère d’entre nous, ce sera toi, ibn al Khattâb !» a-t-il répondu.
Zayd racontait aussi ses occupations, ses découvertes et ses surprises :
— Notre père exige que je lise beaucoup. Il veut que je connaisse tous les rouleaux de savoir auxquels j’ai accès. Ici, à la madrasa, les Juifs très croyants en entassent plus qu’on ne pourrait en déchiffrer en une vie. Leurs fils y apprennent à lire, à écrire et à penser les mots du Livre. Quand on y entre, on y respire un parfum qui n’existe nulle part ailleurs. C’est l’odeur de l’encre sur les parchemins anciens, comme nous l’avons connue dans la chambre du hanif Waraqà, mais en bien plus fort. Et avec quelque chose d’autre, à la fois suave comme les vieux cuirs et qui pourtant sent le lait des nourrissons. Je l’ai dit à un rabbi, un vieillard chenu qui est content de m’enseigner ce que j’ignore. Il m’a dit : « Fils, ce parfum que tu respires, c’est le parfum du passé. C’est bon signe pour toi : seuls ceux que Dieu aime le perçoivent. » Est-ce vrai ? Je ne sais pas, sinon que je suis heureux de m’y retrouver et que notre père le souhaite. Les Juifs de la madrasa sont bons avec moi. Ils ne me cachent rien. Si je ne sais pas écrire un mot, ils rient et secouent la tête en geignant : « Mon garçon, ta connaissance tiendrait dans un oeuf de pigeon !» C’est vrai. Mais ils font tout leur possible pour qu’elle tienne bientôt dans une besace.
Un soir où Fatima tissait des fils épais pour une tunique, Zayd s’approcha d’un pas plus lourd, presque réticent. Il déposa devant elle un gros couffin de laine.
— Aujourd’hui, nous étions chez le Juif ben Shalom, dit-il, pensif. Il est différent des autres. Il se comporte comme s’il était des nôtres, pourtant il est très fidèle aux siens. Il dresse à notre père le portrait des gens d’ici. Qui a été le plus fort et pourquoi il ne l’est plus. En qui on peut avoir confiance. Qui est assidu à la madrasa, qui est bon commerçant, qui dilapide. Qui sont les sourcilleux, les jaloux, les chicaneurs… Notre père l’appelle ibn Salam, et il ne s’en choque pas. Je crois bien que l’amitié naît entre eux, et nous passons beaucoup de temps dans sa maison. Aujourd’hui, alors que nous partions, les femmes de chez lui m’ont donné cette laine afin que tu tisses une couverture pour notre père.
Zayd poussa le couffin contre la hanche de Fatima, interrompant son tissage. Pour une fois, elle le fixa de manière insistante. Elle avait deviné qu’il n’avait pas tout avoué, cela, il le comprit. Il grimaça et esquissa un sourire faussement désinvolte :
— Elles disent que notre père maigrit et qu’il aura froid dans l’hiver qui vient. Les femmes de Yatrib aiment les hommes qui ont de la graisse sur le ventre. Elles assurent que, dans leurs couches, c’est une douceur de plus que leur offre le Seigneur.
La plaisanterie de Zayd n’amusa pas Fatima. Elle plongea la main dans la laine. Une laine si douce que, pour la première fois depuis très longtemps, Zayd la vit sourire.
— C’est une bonne laine, très chaude, dit-elle. Tu remercieras les femmes de ben Shalom. Je suis sûre qu’elles ont raison. Je vais fabriquer une couverture bien épaisse pour notre père.
Zayd ne put retenir une exclamation :
— Allah est grand ! Tu sais encore parler.
Fatima retira sa main de la laine et reprit son ouvrage. Zayd entortilla une mèche de cheveux autour d’un de ses doigts, silencieux à son tour. Entre deux claquements de son métier à tisser, Fatima remarqua sèchement :
— Y a-t-il autre chose que tu voudrais dire et que tu ne dis pas ?
Zayd baissa les yeux pour parler :
— Aujourd’hui, notre père a dit à
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