Fatima
s’était immobilisée sur ce terrain stérile, sans irrigation ni puits. Ce jour-là, Omar ibn al Khattâb s’était moqué des craintes des habitants de Yatrib. Plus personne, désormais, ne les trouvait ridicules. L’eau dont ils s’étaient servis pour la fabrication des briques n’était pas saine, ni même assez limpide pour la lessive. Les femmes devaient aller remplir jarres et outres au wadi Bathân, qui serpentait loin derrière les collines de l’ouest. Même si les chamelles et les mules charriaient les récipients, la marche aller-retour était longue et épuisante.
Et comment vivre sans jardin ? Seules les aumônes des nouveaux croyants permettaient de manger. Mais aucun des maigres repas de dattes et de lait aigre n’était assuré, et la maisonnée vivait dans la peur du manque de nourriture.
Abu Bakr, Omar, aucun compagnon n’avait de quoi acheter une terre riche et cultivable ; dans la crainte de ralentir leur fuite, tous avaient abandonné leurs biens en quittant Mekka, n’emportant avec eux que de maigres baluchons. Depuis leur arrivée à Yatrib, Tamîn avait déjà troqué une caravane entière contre les ustensiles nécessaires à la maisonnée, ainsi que des tissus pour les vêtements et les couches, des cuirs, des couvertures, des jarres… Sa bonté l’aurait conduit à faire plus, mais Muhammad s’y opposa. La générosité de son compagnon ne devait pas trop alourdir sa dette.
Avant son départ de Mekka, Al Arqam n’avait pu vendre le chargement de sa dernière caravane revenue du Nord. Abu Lahab et Abu Sofyan lui avaient interdit tout commerce au grand marché. Ils se vengeaient ainsi de n’avoir pu empêcher la fuite de Muhammad. Aussi Al Arqam avait-il envoyé sa caravane à Djedda en espérant écouler un peu de ses marchandises, mais une grande partie de l’argent investi serait sans doute perdue. Malgré tout, il épuisa ce qu’il lui restait de fortune pour qu’un artisan de Yatrib installe une porte solide à l’entrée de la cour, gage de sécurité.
Ainsi les jours devinrent une litanie de besognes fastidieuses, mille fois répétées. Chaque matin, Fatima et les plus jeunes femmes faisaient l’aller-retour entre la maison et le wadi pour rapporter de l’eau. L’après-midi, elles s’aventuraient loin pour ramasser des dattes oubliées sur de vieux palmiers et entasser dans des couffins les légumes et les fruits dont les nouveaux croyants voulaient bien leur faire don. Il leur fallait ensuite préparer ce peu de nourriture, trouver du lait, laver le linge ou repousser inlassablement la poussière sableuse que le vent levait et soufflait tout exprès, semblait-il, jusque dans leurs couches.
Après la prière de l’aube, Muhammad et ses compagnons quittaient la cour. Sans relâche, le plus souvent accompagnés du Juif ben Shalom, ils visitaient les maisons de Yatrib, passant d’un clan à l’autre, portant les paroles d’Allah et le désir d’entente entre les Aws et les Khazraj.
Au retour, épuisés, ils mangeaient le maigre repas que les femmes avaient cuisiné. La faim et l’inquiétude commencèrent à marquer les visages et les coeurs. Muhammad le devina. Avant la prière du crépuscule, il prit l’habitude de soutenir le courage et la volonté de chacun par des paroles douces et riches de promesses que son Rabb déposait dans sa bouche. Il racontait l’histoire ancienne de Noé, de Job ou de Moïse, ces nâbi que déjà Allah avait envoyés à la rencontre des peuples pour soulever et conduire les gens du Livre à travers la grande dureté des jours.
Fatima tisse
Alors que les nuits devenaient fraîches à l’approche de l’hiver, les femmes des maisonnées Aws et Khazraj mirent en garde celles de Mekka :
— L’hiver ici n’est pas celui du Sud. Nos montagnes ne sont pas les vôtres et votre soleil n’est pas le nôtre. La pluie et le froid d’ici, il faut savoir les supporter. Ne vous laissez pas surprendre. Il est temps de tisser des vêtements chauds, ou les maladies vous tueront avant l’arrivée du printemps.
Les plus croyantes offrirent de la laine brute à carder. La tante Kawla et la mère d’Ali connaissaient depuis longtemps l’art de tisser. Elles savaient aussi fabriquer les outils nécessaires : la toupie à carder et le cadre simple de tissage que l’on pouvait accrocher au mur. Kawla l’enseigna à Fatima.
Comme dans l’accomplissement de toutes les autres tâches, Fatima se révéla très efficace. Il
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