Fatima
Abu Bakr que si Aïcha survivait à sa maladie, il l’épouserait aussitôt.
La maladie d’Aïcha
Depuis quelque temps, les femmes de la maisonnée ne parlaient que de cela : Aïcha, la fille d’Abu Bakr, l’enfant que le Messager avait prise pour épouse à Ta’if, était malade. Selon la tradition, les véritables épousailles n’auraient lieu qu’au jour où Aïcha deviendrait véritablement femme. Mais la maladie la rongeait, et ce jour n’arriverait peut-être jamais.
Aïcha avait attrapé cette maladie d’hiver dont parlaient les habitants de Yatrib. La fièvre la rendait brûlante, le souffle lui manquait et parfois, au coeur de la nuit, Fatima entendait, derrière la cloison qui les séparait, ses gémissements rauques qui affolaient la tante Kawla et la mère d’Ali.
Ces deux-là veillaient sans relâche la fille d’Abu Bakr. Fatima accomplissait leurs tâches à leur place depuis plusieurs jours déjà, quand la mère d’Ali lui annonça :
— Cette nuit, tu devras veiller Aïcha. Ton père t’en remerciera.
Pour une fois, Fatima fit entendre sa voix :
— Quand Aïcha sera guérie, mon père n’aura qu’Allah à remercier. Moi, je ne suis pas faite pour veiller une malade.
La mère d’Ali eut un grognement de reproche. Elle allait répliquer, quand la tante Kawla lui saisit le coude pour l’en dissuader. Et avec douceur :
— Fatima nous remplace à nos tâches. Ce n’est pas rien, et cela convient aussi bien que de veiller la petite.
Chaque matin, Abu Bakr se présentait devant la tenture qui fermait la porte de sa fille pour connaître son état. Il avait les yeux rougis par l’insomnie et l’angoisse. Sous son inquiétude, chacun devinait les questions qu’il taisait. Elles occupaient toutes les têtes.
Pourquoi Allah faisait-Il souffrir Aïcha ? Elle n’était qu’une enfant.
Pourquoi infligeait-Il cette nouvelle épreuve à Son Envoyé ?
Était-ce la fille ou le père, Aïcha ou Abu Bakr, que Dieu mettait ainsi en garde ?
Le Tout-Puissant refusait-Il les épousailles de Son Messager avec une fille si jeune ?
Muhammad lui-même venait devant la chambre. Il demandait à la tante Kawla ou à la mère d’Ali :
— Est-elle mieux ? A-t-elle encore beaucoup de fièvre ? Dort-elle ? Parle-t-elle ?
Les deux femmes secouaient la tête. Elles aussi avaient les cernes creusés par les tourments et les nuits sans sommeil. La mère d’Ali était plus faible et plus âgée que Kawla. On la voyait s’assoupir à tout bout de champ dans la journée. Bientôt, elle ne fut plus en état de veiller. Abu Bakr pria une cousine de Tamîn, une femme jeune et forte, de la remplacer.
Dès sa seconde nuit de veille, c’est elle qui prévint Abu Bakr et Muhammad :
— Allah le Grand, le Tout-Puissant ! Ô le Clément et Miséricordieux ! Oh, Seigneur ! Abu Bakr, ta fille a perdu tous ses cheveux. Ils sont tombés sur sa couche par poignées, comme des oiseaux morts ! Oh, Envoyé ! La voilà avec le crâne aussi chauve que celui d’un vieux ! Qu’est-ce que cela veut dire ?
Nul n’aurait su répondre à cette question, pas même le Messager d’Allah. Les femmes des Aws et des Khazraj qui avaient mis en garde ceux de Yatrib contre les maladies d’hiver furent consultées. Muhammad envoya Ali chez le Juif ben Shalom pour réclamer son aide. Zayd courut à la madrasa interroger les rabbis. Partout, il n’y eut pour réponse que des yeux écarquillés par la stupeur et l’ignorance.
Au milieu de ce terrible jour, Muhammad réunit la communauté des croyants, ceux de Mekka et ceux de Yatrib, dans sa nouvelle cour. Le temps était mauvais. À l’horizon, le ciel pesait, aussi gris qu’une cendre refroidie. Le vent soufflait des bourrasques aigres, soulevant des débris de palmes aussi secs que du cuir, faisant tourbillonner des feuilles de vigne racornies, des plumes ou des brins de laine oubliés.
La prière fut intense et longue. Fatima prononça le nom d’Aïcha et implora la Clémence du Seigneur Tout-Puissant avec la même ferveur que les autres fidèles.
Il n’empêche, dans les jours qui suivirent, rien ne changea. Aïcha demeurait le crâne nu et moite de fièvre, sa tête était recouverte d’un voile épais, ses lèvres d’enfant se craquelaient. Il fallait sans cesse lui passer un linge humide et tiède sur la bouche. La faire manger était une gageure et, la nuit, quand le souffle lui manquait, ses geignements semblaient chaque fois
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