Faubourg Saint-Roch
l'escalier trop raide, une valise dans chaque main, pour quitter la maison aussitôt. Emile attendait à l'extérieur pour l'aider et la présenter lui-même à sa nouvelle logeuse. Cela faisait aussi partie de la mise en scène pour disposer encore mieux cette veuve.
Quelques jours plus tard, Marie ne regrettait rien. Au retour du grand magasin, un peu après six heures, elle montait au second étage de la maison de chambres afin de se changer. La pièce qui lui était attribuée était plus petite que son ancienne chambre, mais au moins elle l'occupait seule. Le lit étroit rangé contre un mur était doté d'un véritable matelas, plutôt que d'une paillasse si prompte à se tasser et toujours susceptible de se dégrader et d'abriter des insectes. Une petite table et une chaise tenaient dans un coin. Un papier peint fleuri agrémentait cet espace.
La routine de troquer ses vêtements de travail pour d'autres, plus anciens, subsistait toujours. Toutefois, ses affaires de vendeuse des derniers mois remplaçaient désormais les robes plus misérables qui suffisaient dans son ancienne maison de chambres. Quand elle redescendait dans la salle à manger pour souper, invariablement la propriétaire la recevait en disant:
— Bonsoir, mademoiselle Buteau. Avez-vous passé une belle journée ?
— Oui, et vous ?
La veuve Giguère possédait une grande maison peu élégante, mais confortable. Après que son époux ait eu la malencontreuse idée de mourir prématurément, l'accueil de pensionnaires lui permettait de vivre dans un confort petit-bourgeois. Une jeune fille venue de la campagne l'aidait à tenir la maison. L'endroit se révélait assez luxueux pour devenir inaccessible à la plupart des travailleurs manuels. Heureusement, la proximité des deux gares et du bureau des douanes lui amenait comme clients quatre employés polis et réservés. La propriétaire d'un petit commerce de chapeaux figurait aussi parmi les pensionnaires. Marie complétait la maisonnée.
La plus jeune à table, elle demeurait dans une réserve polie, préférant écouter les conversations, répondant aux questions sans jamais trop se livrer. De toute façon, entre son travail, les répétitions de la chorale et ses efforts constants pour améliorer ses connaissances de la grammaire, sa vie se déroulait de façon plutôt morne. Son employeur avait évoqué déjà la tenue de livres, ce qui laissait présager que ses loisirs se réduiraient encore.
— Vous comptez sortir ce soir ? demanda la logeuse en plaçant un bol de soupe devant elle.
— Non, aucune répétition de la chorale n'est prévue. Je lirai un peu.
—Je vous rappelle la présence de quelques ouvrages dans le petit salon. Si vous voulez les emprunter, libre à vous.
—Je le ferai certainement bientôt. Vous savez que je suis toute nouvelle dans mon emploi. J'en ai encore pour quelques mois à compter tout mon temps.
Ce petit salon représentait l'un des plus précieux avantages de la maison de chambres. Les quelques livres et les journaux procuraient les sujets de longues conversations entre les pensionnaires. Madame Giguère jouait raisonnablement bien de son piano droit, Marie avait pu constater que les locataires de sexe masculin ne chantaient pas trop mal. Tôt ou tard, elle devrait justifier sa présence dans la chorale paroissiale en se
joignant à eux.
Surtout, elle profitait d'une alimentation largement suffisante, plutôt variée, et d'un confort presque douillet. Cette existence pourrait se poursuivre des années durant sans que la jeune fille ne trouve à s'en plaindre.
Le 6 septembre, au moment de quitter la maison afin d'aller à la messe, Alfred Picard eut la surprise de trouver Gertrude, la domestique, vraiment inquiète.
— Votre mère ne se sent pas très bien. Elle ne pourra pas vous accompagner.
— Devrais-je aller la voir? répondit-il en regardant vers la porte de la chambre.
— Tout à l'heure, la douleur semblait se calmer un petit peu. J'espère que depuis elle a pu s'endormir.
Les rhumatismes ne laissaient que peu de répit à la vieille femme, et le docteur Couture n'avait rien d'autre à suggérer que des opiacés qui la laissaient hébétée. Cette personne pour qui l'ivresse représentait le pire péché préférait donc endurer cette souffrance avec un stoïcisme qui n'améliorait guère son humeur. Il était préférable de ne pas gâcher la moindre minute de son sommeil.
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