Faubourg Saint-Roch

retirer. Ces visites commençaient toujours par une confession et se poursuivaient avec une conversation sur un quelconque sujet susceptible de servir à l'élévation de l'âme de la paroissienne. La communion précédait ensuite le départ du prêtre.
    Alors que celui-ci plaçait une étole autour de son cou, la cuisinière ferma soigneusement la porte derrière elle.
    Élisabeth savait disposer d'une bonne heure devant elle, le temps que duraient habituellement les visites du vicaire.
    Aussi elle termina sa leçon sur les adjectifs qualificatifs, demanda aux enfants de se donner un coup de peigne, puis les conduisit dans le salon donnant sur la façade de la maison.
    Elle évitait habituellement de se trouver dans cette pièce, réservée à la vie familiale et sociale des Picard. Au moment où Émile Buteau descendit l'escalier, elle se rendit dans le hall pour l'inviter à les rejoindre.
    —    Si vous voulez vous asseoir dans ce fauteuil... Dois-je demander à Joséphine de vous préparer du thé, ou peut-être du café?
    —    Non merci.
    Le vicaire prit ses aises dans un grand fauteuil, le plus majestueux de la pièce, comme il convenait pour un hôte de marque. La préceptrice rejoignit ses élèves sur le canapé et déclara :
    —    Vous savez sans doute qu'Eugénie et Edouard effectuent leur scolarité à la maison, avec moi. Leur père voudrait qu'ils fassent leur première communion d'ici quelques mois. J'ai commencé à leur enseigner le catéchisme. Je pense qu'ils seront bientôt au fait des éléments de la religion.
    —    C'est bien, cela, opina le prêtre en adressant son meilleur sourire aux enfants. Je suppose que vous connaissez déjà vos prières.
    Cela ressemblait un peu à un défi, Edouard le releva et commença: «Je vous salue Marie, pleine de grâces... » Sans se tromper une seule fois, le garçon arriva au bout de la récitation.
    —    Bravo, tu as bien travaillé, apprécia le vicaire. Mais saurais-tu me dire ce que sont les grâces ?
    Un silence embarrassé suivit la question. A la fin Eugénie, soucieuse de sauver l'honneur de la famille, le rompit en
    murmurant :
    —    Marie est remplie de toutes les qualités qui la rendent aimable, admirable. Ici, je pense que l'on parle des qualités qui la rendent agréable à Dieu.
    —    C'est ce que je voulais dire, s'exclama Edouard.
    A la décharge du garçon, une grande proportion des adultes de Québec, tant de la Haute-Ville que de la Basse-Ville, n'aurait pas fait mieux que lui. Le pasteur échangea un regard amusé avec Elisabeth, puis demanda à la fillette :
    —    Quel âge as-tu ?
    —    Sept ans, bientôt huit.
    —    Même pour une personne de huit ans, ce serait une excellente réponse. Tu ne feras pas ton catéchisme dans les étoiles.
    C'était un hommage à la vivacité d'esprit d'Eugénie. L'ecclésiastique voulait dire que sa gouvernante ne se limitait pas à aborder seulement les questions du catéchisme marquées d'un astérisque, ou d'une étoile, comme il arrivait avec un très jeune enfant, ou alors avec une personne limitée intellectuellement.
    —    Et toi, mon garçon, peux-tu me dire où est Dieu ?
    —    Dieu est partout.
    —    Peux-tu me le montrer ?
    —    ... Non.
    La réponse, hésitante, ne vint qu'après une consultation du regard avec la préceptrice. Le vicaire fronça les sourcils, faussement sévère :
    —    Comment cela se peut-il ?
    —    ... Nous ne voyons pas Dieu parce que c'est un pur esprit.
    Du moment où la question ne prenait pas exactement la même forme que dans le catéchisme, Edouard se sentait perdu. En quelque sorte, l'énoncé de la question déclenchait une réponse apprise par cœur, sans que la compréhension du sens des mots prononcés ne soit vraiment nécessaire. Cela devenait un automatisme, avec le temps.
    Pour beaucoup de catholiques, le catéchisme aurait tout aussi bien pu être rédigé en langue turque, tellement la mémoire, dans son apprentissage, semblait primer sur la raison. Et à cet égard, l'aptitude à répéter les 519 questions et réponses de l'édition de 1888 avant de se présenter à leur communion solennelle semblait être une performance en soi. Heureusement, pour la première communion, on se contentait de la connaissance des prières et des questions les plus faciles.
    —Mademoiselle Trudel, je constate que vous avez fait des progrès appréciables, puisque vous êtes dans cette