Faubourg Saint-Roch
maison depuis un peu plus de trois mois. Vous savez que les institutrices consacrent à peu près la moitié du temps passé en classe aux mystères de la religion?
La proportion devait souvent être plus grande, surtout au moment de préparer un enfant à recevoir un sacrement pour la première fois. En réalité, une large majorité des habitants du Québec quittait l'école sans en avoir tiré un quelconque autre avantage intellectuel.
— J'essaie de respecter la division du temps proposée par le Département de l'instruction publique.
— Et à ce rythme, quand croyez-vous que ces jeunes personnes seront prêtes ?
— ... Je suppose que les enfants pourront faire une première confession en janvier ou février. Mon employeur espère qu'Eugénie et Edouard feront leur première communion en même temps que les autres enfants de la paroisse, le printemps prochain.
Le vicaire marqua un temps d'arrêt pour réfléchir, avant d'admettre :
— Bien sûr, ce serait l'idéal : entrer en même temps que leurs jeunes voisins dans la communauté paroissiale. Votre situation, et bien sûr celle de ces enfants, est toutefois exceptionnelle. D'habitude, les élèves étudient le catéchisme en classe, un prêtre passe régulièrement à l'école pour vérifier les progrès. Je devrai voir avec le curé...
— Dans ma paroisse, les enfants marchaient au catéchisme, des leçons avaient lieu au presbytère.
—J'en déduis que vous venez de la campagne... Cette façon de faire évite au curé de visiter plusieurs écoles de rang. A la ville, les vicaires se déplacent plutôt dans les classes.
Les protégés d'Elisabeth écoutaient avec un intérêt distant les adultes discuter des façons d'assurer le salut de leur âme. La jeune femme proposa, après un moment de silence:
— Comme vous passez ici de toute façon, vous pourriez profiter de l'occasion pour vérifier leurs progrès toutes les deux semaines. Quant à moi, je m'assurerai qu'aucun mot du catéchisme ne demeure trop mystérieux pour les enfants.
— Comme je le disais, je devrai en discuter avec monsieur le curé... Mais je ne doute pas qu'il y aura une solution pour que ces deux jeunes personnes fassent bientôt leur entrée officielle parmi les fidèles de la paroisse.
Le vicaire se leva pour se diriger vers la porte. Elisabeth le raccompagna, récupéra le chapeau sur le crochet pour le lui tendre.
— Au revoir, Monsieur l'Abbé.
— Au revoir, mademoiselle Trudel. Quant à vous, mes enfants, je suis certain que vous étudierez le catéchisme avec un sérieux redoublé.
Eugénie et Edouard firent un signe d'assentiment. Ils se tenaient dans l'embrasure de la porte du salon afin de regarder le visiteur quitter les lieux. Dans leur inconscience heureuse, ils ignoraient que leur vie prendrait une tournure dramatique au cours des prochains mois. Le temps de l'innocence se terminait, dorénavant toutes leurs actions seraient soumises à un examen attentif afin de débusquer le péché. Le mal se tiendrait derrière la robe trop jolie, la caresse trop douce, le dessert trop succulent, pour leur ravir leur âme...
Le dernier dimanche du mois d'août, pour la seconde fois de son existence, Marie Buteau rangea la totalité de ses possessions terrestres dans deux petites valises de carton bouilli. Elles se limitaient à des vêtements et à quelques-uns de ses anciens livres de classe. Les dettes avaient réduit à néant le patrimoine de sa famille. Même les vêtements de ses parents et les ustensiles de cuisine avaient dû être vendus.
Au moment où elle s'apprêtait à quitter la chambre, Yvonne la serra gauchement dans ses bras, des larmes dans les yeux.
— Ta sœur arrivera-t-elle bientôt? questionna-t-elle pour la forme.
— Dans une semaine ou deux. Tu aurais pu rester encore.
— Mieux vaut ne pas prendre de chance : la chambre est libre aujourd'hui, elle ne le sera peut-être pas demain.
— Je comprends.
En vérité, Marie savait que la veuve habitant rue Grant aurait accepté d'attendre un peu. Le vicaire Buteau lui avait parlé de sa petite sœur trois semaines auparavant, juste après les vêpres, alors que la paroissienne venait régler sa cotisation à la confrérie des Dames de Sainte-Anne. Celle-ci se plaisait déjà à considérer l'accueil de l'orpheline comme une œuvre pie.
Sans se retourner, la jeune fille descendit pour une dernière fois
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