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Faubourg Saint-Roch

Titel: Faubourg Saint-Roch Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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pâleur du désespoir se lut sur les joues du commerçant.
    —    Pourquoi me détestes-tu à ce point? Que t'ai-je fait?
    Alfred aurait pu évoquer quinze ans de railleries. Il préféra la
    conciliation:
    —    En réalité, je suis en train de te sauver. Avec ce bout de papier, Marie Buteau aura l'assurance que tu ne l'oublieras pas. Ce n'est que réduite à la dernière extrémité qu'elle l'utilisera. Tu comprends qu'elle ne désire pas plus que toi se donner en spectacle. Tu la connais tout de même un peu.
    —    Que veut-elle ? Que veux-tu, car c'est toi qui mène le jeu dans cette histoire ?
    —    Quand tu auras signé.
    Pendant un long moment, Thomas demeura immobile, les yeux clos, effaré. Le chef de rayon se fit la réflexion que son frère devait maintenant avoir une petite idée de ce que signifiait céder sous la pression, sous la peur de tout perdre. À la fin, d'une main tremblante, il trempa sa plume dans l'encrier et signa. Alfred reprit la feuille pour la plier et la mettre dans la poche intérieure de sa veste.
    —    D'abord, elle voudra peut-être reprendre son poste demain. Tu devras lui faciliter les choses.
    —    Tu n'y penses pas...
    —    Nous n'avons pas le choix. Déjà ce matin, les vendeuses commentaient sa sortie d'hier. N'alimente surtout pas leurs commérages.
    —    ... Soit.
    Bien sûr, la disgrâce de la jeune femme quand on saurait son état ne devait pas suivre de trop près cet esclandre, sinon tout le monde ferait le lien.
    —    Je suppose qu'elle voudra aller quelque part pour un accouchement discret, continua Thomas, préférant prendre les devants plutôt que de se faire arracher toutes les concessions une à une.
    —    Une idée un peu plus simple me trotte dans la tête, mais pour cela je dois d'abord obtenir l'assentiment de Marie. Quand je sortirai d'ici, je lui proposerai le mariage.
    Un moment, le commerçant demeura interdit, se demandant s'il avait bien entendu. Puis il attendit de voir son frère éclater d'un grand rire, comme il le faisait souvent après avoir proféré une énormité. A la fin, il laissa tomber:
    —    Tu es sérieux ?
    —    Plus je songe à la question, plus cela m'apparaît être la solution idéale. Elle y gagne une certaine sécurité dans laquelle élever ton enfant. Quant à moi, ce sera un sauf-conduit vers la respectabilité. Les commérages sur un bébé né six ou sept mois après le mariage portent tellement moins à conséquence que ceux sur des pratiques contre nature.
    Alfred avait jeté le dernier mot comme un crachat. Malgré lui, Thomas devait convenir que cela représentait la situation idéale.
    —    Mais elle souhaite peut-être un mariage...
    —    Prononce le mot : tu veux dire « normal ». Aussi normal que le tien, peut-être ?
    Le chef de rayon retrouvait son ironie habituelle. Il continua, plus préoccupé :
    —    Désormais, une union normale, pour reprendre ce terme, lui est devenue impossible. Tu devrais le comprendre, c'est la raison qui t'incite à conserver Elisabeth de côté pour tes secondes noces, plutôt que de la mettre dans ton lit.
    Le commerçant grimaça en se souvenant des caresses échangées le Premier de l'an. Ses propres convictions à cet égard devenaient moins fermes. Dans des circonstances habituelles, jamais il ne serait allé si loin avec une candidate au mariage.
    —    Personne n'épouse une célibataire qui élève un enfant. Même si Marie disparaît pour accoucher et donner l'enfant à l'adoption, ce ne sera pas vraiment mieux. Dans notre monde, les soupçons pesant sur elle en feront un très mauvais parti aux yeux de tous les hommes. Elle se retrouverait avec un alcoolique, un batteur de femmes ou un souteneur. Pour elle, je suis de loin le meilleur prétendant possible.
    Thomas songea un moment à la possibilité de payer un travailleur pour convoler en justes noces avec une femme enceinte, mais un plan pareil poserait de trop grandes difficultés.
    —    Et si elle refuse ?
    —    Ce sera comme tu le disais tout à l'heure : un accouchement discret, puis la nécessité de l'entretenir, elle et son enfant.
    Au gré des minutes qui passaient, le commerçant se prenait à espérer que le mariage de son frère aîné se réalise.
    —    Il ne me reste maintenant qu'à aller faire la grande demande, ajouta Alfred en se levant de sa chaise.
    Il regarda son frère avec un sourire narquois, puis poursuivit en

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