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Faubourg Saint-Roch

Titel: Faubourg Saint-Roch Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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poussait le zèle jusqu'à appeler la police, l'escapade se terminerait sur des explications plutôt gênantes.
    Le commerçant connaissait son établissement comme le fond de sa poche, de mémoire il aurait pu citer l'inventaire de chacun des rayons. Il guida sa compagne parmi les étals, les mannequins et les comptoirs sans se tromper une seule fois. Au troisième, il alluma l'ampoule éclairant la salle d'essayage de la section des vêtements pour femmes, puis déclara :
    —    Attendez-moi un instant, je reviens.
    Laissée seule, Elisabeth chercha à discerner des présences fantomatiques dans les jeux d'ombres de cet endroit, un peu comme le faisait Marie Buteau quelques semaines plus tôt. Puis l'homme revint avec une jupe de velours d'un bleu profond, une veste assortie et un chemisier blanc dans les bras.
    —    Enfilez cela. Je crois que ce sera à votre taille. Je vais dénicher des loups pour nous deux, puis nous chercherons une voiture pour aller à la Haute-Ville.
    —    Ce que j'ai sur le dos...
    —    Serait aisément reconnaissable. Vous trouverez certainement un sac de papier dans la cabine d'essayage. Nous le déposerons dans mon bureau. Demain, au plus tard lundi, je le ramènerai à la maison.
    La petite escapade se compliquait, mais son «uniforme» de préceptrice, porté sans arrêt depuis neuf mois déjà, serait facilement reconnu, si un habitant du quartier Saint-Roch se trouvait ce soir au Château Frontenac. Dans la cabine d'essayage, deux minutes suffirent pour enfiler les nouveaux vêtements. L'œil de Thomas s'était montré infaillible, comme s'il s'occupait quotidiennement du rayon des vêtements féminins. D'un autre côté, la silhouette de la jeune femme ravissait son attention depuis l'été précédent.
    Debout devant le grand miroir, comme elle l'avait fait en mai, Elisabeth passa un moment à admirer son reflet. Deux petits coups sur la porte attirèrent son attention.
    —    C'est bien trop beau, dit-elle quand l'homme entra dans le petit réduit.
    Encore une fois, ses yeux la contemplèrent des pieds à la tête, puis il commenta d'une voix changée :
    —    Au contraire, ces vêtements ne sont pas à la hauteur de votre beauté. Venez.
    Dans son sillage, maintenant éclairée par la seule lumière blafarde venue des grandes fenêtres, elle marcha jusqu'aux bureaux de l'administration. De nouveau, l'ancienne secrétaire se manifesta dans son souvenir, tout de suite chassée d'un mouvement vif de la tête. Comme Cendrillon, la jeune femme méritait le droit d'aller au bal de façon un peu inattendue : elle préférait voir dans son compagnon l'émule de la bonne fée, pas celui d'un ogre dangereux.
    Au moment de sortir, Thomas posa un loup noir sur son visage puis lui en tendit un autre, bleu celui-là, pour se marier à ses nouveaux vêtements. Un voile descendait sur la partie inférieure de son visage.
    —    Personne ne vous reconnaîtra, commenta-t-il en ouvrant la porte pour la laisser passer.
    —    On ne peut en dire autant de vous.
    En réalité, si le déguisement de la jeune femme lui garantissait un anonymat relatif, cela tenait surtout au fait que personne en dehors de la paroisse ne la connaissait. Dans le cas d'un homme que deux campagnes électorales poussaient à l'avant-plan, à moins de se déguiser de pied en cap et d'affecter une autre démarche et une autre posture, libéraux et conservateurs devineraient son identité.
    —    T ant pis, j'assume.
    Essayer d'être discret lui avait coûté trop cher, l'automne précédent.
    Quelques minutes plus tard, le couple réussissait à intercepter un fiacre dans la rue de la Couronne. Au Château Frontenac, ils laissèrent leur manteau et leur chapeau au vestiaire, et tous les deux entrèrent dans la grande salle de bal, bras dessus, bras dessous, pour une première fois dans cet endroit qui ne manquait pas de chic. Elisabeth admira la multitude de lampes au gaz pendues au plafond à caissons ou accrochées aux murs, les lourds rideaux, le parquet verni. Dans un coin, un orchestre distillait sa musique, essentiellement des valses. Autour d'eux, les conversations se déroulaient surtout en anglais. Cela, bien plus que les masques sur leurs visages, leur assurait une relative discrétion.
    Thomas se plaça devant sa compagne en tendant les mains.
    —    Vous savez, sauf avec Edouard, je n'ai jamais dansé.
    —    Alors suivez-moi.
    Sa confession n'était pas tout à fait

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