Faubourg Saint-Roch
le premier.
— Tu sais, expliqua Elisabeth en posant ses mains sur les épaules du garçon, c'est très agréable de marcher dans les bois, au clair de lune, en raquettes. Et comme la neige demeure molle tout l'hiver sous les bosquets, sans elles, on s'enfoncerait jusqu'au cou.
—Tu veux qu'on y aille ensemble ? Nous pourrions voir des loups.
Il levait vers elle des yeux excités de plaisir.
— Ce serait agréable. Mais l'hiver se termine déjà, et le quartier Saint-Roch manque terriblement de boisés, et de loups aussi.
«Surtout, songea-t-elle, que l'hiver prochain tu te feras sans doute disputer quotidiennement par les frères des écoles chrétiennes et moi, je n'ai aucune idée de l'endroit où je me trouverai ». Pour ne pas rester sur une réflexion aussi triste, elle reprit:
— Demain, la course depuis Montréal arrivera-t-elle ici ?
—Non, au Palais de glace, expliqua Thomas en se tournant vers elle. C'est n'est pas une véritable course, plutôt un exploit collectif. Ils devraient entrer dans l'enceinte sans se soucier d'un premier ou d'un dernier rang.
— Ils viennent vraiment à pied de Montréal ? questionna Eugénie à son tour.
— Oui, comme au temps de nos ancêtres. Tout le long du chemin, ils couchent dans des auberges. Cela leur prend plusieurs jours pour couvrir la distance. Au fond, c'est sans doute une équipée très joyeuse.
—Montréal, c'est plus loin que là où nous sommes allés l'été dernier? demanda le garçon à son tour.
La chose paraissait impossible à Edouard, aussi il avait posé la question en ouvrant de grands yeux sceptiques.
— Je dirais trois fois plus loin. Nous pourrions y aller, l'été prochain.
— Pas en raquettes !
— Ce sera l'été, idiot, commenta Eugénie en reniflant. Il n'y aura plus de neige.
Elisabeth pensa que le moment ne convenait pas à un rappel des principes enseignés par la baronne de Staffe. Elle se contenta de caresser la joue du garçon de son doigt ganté pour éviter une répartie qui pouvait se révéler acérée. L'enfant avait passé l'âge d'encaisser en silence.
A la course des raquetteurs, un peu ridicule, en succéda une autre carrément grotesque. Des audacieux s'élancèrent à bicyclette sur la surface gelée. Afin de retarder le moment où ils se retrouvaient dans la neige cul par-dessus tête, les plus déterminés avaient enroulé du fil de fer autour des roues de leur petite machine. Heureusement, le spectacle ne dura pas.
On en vint enfin aux choses sérieuses : quelques notables de Québec se lancèrent en traîneau sur la piste ovale, excitant de la voix et du fouet de petits chevaux vifs et nerveux. Comme tous les autres mâles présents, par un atavisme plusieurs fois millénaire, Edouard hurla à pleins poumons durant les dix tours réglementaires.
— Nous allons les voir ? demanda-t-il, les yeux pleins d'admiration, quand le vainqueur arriva enfin au fil d'arrivée.
La moitié des participants seulement avaient terminé la course. Les autres n'avaient pu négocier les virages serrés. Heureusement, la neige accumulée faisait en sorte que les voitures soulevaient des nuages blancs en quittant la piste, les cochers culbutaient sur trente ou quarante pieds, mais personne ne se brisa de membres.
— Allons-y, ensuite nous rejoindrons Napoléon, sinon il sera tout raidi de froid.
En se dirigeant vers le fil d'arrivée, Thomas se rendit compte que si les hommes n'avaient récolté que quelques bleus, au moins deux chevaux avaient eu moins de chance. Malgré des fers spéciaux, bien aiguisés juste avant la course, ils s'étaient abattus sur le flanc en prenant un virage, pour s'empêtrer ensuite dans l'attelage, se fracturant une patte. Pour ceux-là, quand tout le monde serait parti, la journée se terminerait par une balle de revolver dans l'oreille. Leur propriétaire en serait quitte pour une perte de cinquante, peut être cent dollars.
Édouard put caresser les naseaux de quelques petits chevaux frissonnants, le corps en nage, de chaudes couvertures sur les flancs. Des hommes tout à l'ivresse de leur succès le laissèrent même leur donner de l'avoine ou du sucre dans la paume de sa main nue. Ensuite, tous les quatre revinrent vers la prison en grelottant un peu, heureux de retrouver bientôt la chaleur de la robe de carriole.
Par la Grande-Allée, ils glissèrent jusqu'à l'avenue Duffe-rin. À gauche de celle-ci, sur un petit
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