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Faubourg Saint-Roch

Titel: Faubourg Saint-Roch Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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de l'épouse du commerçant le plus important de la paroisse attirerait une foule nombreuse de collègues, d'employés et de curieux.

Après avoir reconduit sa femme à son domicile, Alfred se présenta à la maison de la rue Saint-François au moment où les cloches de la paroisse signalèrent midi. Si la présentation de ses condoléances à son frère demeura un peu empruntée, en revanche il sut trouver les mots avec les enfants. Au moment où il quittait les lieux, Thomas lui demanda :
    —    Je n'ose pas m'absenter. Accepterais-tu de te rendre chez Lépine pour choisir un cercueil, et ensuite chez le curé pour régler les détails des funérailles ?
    Le chef de rayon comprenait la volonté de son frère de demeurer près de ses enfants dans les circonstances, aussi il donna son assentiment.
    —    À quelle date penses-tu ?
    —    Mercredi. N'épargne rien, toute la paroisse sera à l'affût du moindre manque de goût et du plus petit accroc
    aux convenances.
    —    Tu connais mon tact légendaire.
    À sept heures, Thomas Picard accueillit les premiers visiteurs, des collègues qui tenaient commerce rue Saint-Joseph, de même que tous les candidats libéraux de la région de Québec. Après avoir reçu l'expression de leurs plus sincères sympathies, au moment du départ, en les reconduisant à la porte, il leur souhaitait la meilleure des chances. Les élections provinciales se tiendraient le mardi suivant, le 11 mai. Cette fois, l'organisateur ne pourrait se rendre dans un hôtel afin d'attendre avec eux les résultats des divers bureaux de scrutin.
    Le corps d'Alice Picard se trouvait au fond du grand salon, dans un cercueil de chêne blanchi du plus bel effet. Le visage émacié encadré de cheveux blonds secs et ternes retenait les regards. A trente ans à peine, elle aurait tout aussi bien pu en avoir le triple. Les mêmes mots revenaient sur les lèvres des visiteurs: «Cela vaut mieux ainsi.» Des années de maladie paraissaient en effet pires que la mort. Leur pitié se portait sur les enfants. Vêtue de noir des pieds à la tête, Eugénie s'accrochait à un prie-Dieu placé près de la tombe, refusant de s'éloigner du cadavre. Edouard affichait un air grave, sanglé dans un costume tout neuf.
    Quand les derniers visiteurs quittèrent enfin les lieux, vers dix heures, Thomas verrouilla la porte, puis s'appuya le dos au mur pour reprendre son souffle. Quand elle descendit de l'étage pour le rejoindre, Elisabeth lui chuchota :
    —    Passe à côté, je vais te servir un cognac.
    —    Je ne sais pas comment je vais passer à travers deux journées complètes de ce genre. Tous les habitants de la paroisse vont passer ici, la plupart du temps sans autre motif que de jeter un coup d'œil aux meubles.
    —    Sans compter tes multiples amis de la Haute-Ville et les membres du Parti libéral. Viens.
    Un peu plus tard, alors qu'il s'enfonçait dans un fauteuil déplacé du salon, elle lui tendait un verre. Au moment de s'asseoir près de lui, elle déclara :
    —    Eugénie m'inquiète. Tu as vu son attitude à mon égard ?
    —    Cela lui passera certainement. De toute façon, maintenant notre situation va se normaliser.
    L'homme tendit la main pour prendre la sienne. Elisabeth attendait ces mots depuis des heures, une promesse de mariage en quelque sorte. Bien sûr, l'homme devrait se faire plus explicite, en plus de proposer une stratégie et un calendrier de ses projets. Si sa présence dans la demeure des Picard avait fait jaser jusque-là, dès ce jour la promiscuité avec un veuf serait unanimement condamnée.
    —Je ne pensais pas que sa mort pouvait venir si vite, murmura la jeune femme.
    —    Selon le docteur, son agonie aurait pu s'étaler sur des années encore.
    La perspective fit frissonner Elisabeth. Pour se donner une contenance, elle demanda en étirant la main :
    —    Je peux goûter?
    Il lui tendit son verre. La toute petite gorgée la fit grimacer et tousser brièvement.
    —    Je n'en prendrai pas l'habitude. Je monte me coucher.
    Puisque la lampe demeurait ouverte, les souhaits de bonne
    nuit ne furent soulignés que par une pression réciproque des doigts entrelacés.
    Pour Émile Buteau, monter en chaire pour prononcer l'éloge funèbre d'Alice Picard représentait en quelque sorte l'apothéose de sa jeune carrière. Après avoir visité la malade deux fois par mois, depuis l'été précédent, il pouvait témoigner éloquemment des

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