Faubourg Saint-Roch
clairement, autrement que pour dire que le départ au couvent d'Eugénie rendrait sa position intenable. Un enfermement au couvent paraissait être de la pure folie aux yeux de Thomas; la recherche d'un emploi dans une commission scolaire de la campagne guère mieux. Quant à enseigner à Québec, cela se révélait impossible: les religieuses détenaient le monopole de ces emplois.
— Songes-tu à me proposer un poste de secrétaire particulière à ton magasin ?
L'allusion indirecte à Marie Buteau rendait mieux compte de sa situation qu'un interminable discours. Ses perspectives d'avenir se révélaient peu nombreuses.
— Ce ne serait pas une mauvaise idée. Tu saurais certainement effectuer le travail aussi bien que la personne qui occupe ce poste. Si tu habitais les environs, nous pourrions nous voir à peu près tous les soirs.
Depuis la fin du mois de janvier, afin de ne pas se placer encore dans une position difficile, Thomas avait recruté un autre jeune diplômé de l'Académie des frères des écoles chrétiennes.
— Mais il n'est même pas nécessaire que tu travailles. Nous pourrions te dénicher un logement...
— Nous ne vivons pas dans un roman de Balzac ou de Zola, précisa sa compagne, en faisant allusion à ses lectures des derniers mois, des textes tout à fait inaccessibles quand elle était au couvent. A Québec, les jeunes femmes entretenues ne sont certainement pas légion.
— Cet aspect de notre belle ville échappe sans doute aux élèves des ursulines. Je t'assure que la chose n'est pourtant pas aussi rare que tu sembles le croire.
Avant de la rejoindre près de la fenêtre, l'homme avait fermé la lampe au-dessus de son bureau. Personne ne pouvait les apercevoir de la rue. Thomas tendit la main vers elle, pour prendre la sienne. Il tira un peu pour l'amener à se lever et venir sur ses genoux. Ce rapprochement servait habituellement de prélude à un passage dans le cagibi, au fond de la pièce. La jeune femme consentait à des jeux de mains fort coquins, tout en préservant sa virginité. Le souvenir de sa mésaventure avec Marie Buteau incitait son compagnon à s'en satisfaire. Sa réserve de frères aînés susceptibles de voler à son secours se trouvait épuisée.
Ce soir, Elisabeth paraissait plus désireuse de parler que de s'abandonner à des privautés.
— Tu te doutais, toi, que pour retourner chez les ursu-lines, je devrai présenter un nouveau «certificat de moralité», signé cette fois par le curé de la paroisse Saint-Roch ?
—Je ne m'étais jamais posé la question, mais je suppose que cela va de soi. Il faut un papier de ce genre pour entrer dans de nombreuses écoles, demander un passeport, devenir fonctionnaire ou obtenir un emploi d'institutrice. Il arrive souvent que des employeurs exigent un mot du curé au moment de recruter du personnel. Parfois, les prêtres viennent me rencontrer pour me recommander leurs protégés, et même discuter des salaires de ceux-ci. Rien ne leur échappe.
L'homme serra la main de la jeune femme dans la sienne, puis murmura :
— Tu crains que la recommandation soit négative. Cela signifie-t-il que le curé sait... à propos de nous deux?
— Évidemment. Tu ne te confesses jamais ?
— Bien sûr, au moins une fois tous les deux mois, sinon les gens commenceraient à jaser. Toutefois, j'essaie de lui dire ce qu'il veut entendre, sans plus.
Les préoccupations de la jeune femme à cet égard suscitaient chez elle un nouvel engouement pour la chasteté. Thomas lâcha sa main.
Le mois d'avril se termina bientôt. Avec le mois de mai, Élisabeth compléterait la première année de son séjour dans la demeure de la famille Picard. Le samedi 8, la jeune femme demanda à son patron une heure de congé afin de se rendre au presbytère. Au moment du souper, sa mine soucieuse témoignait que les choses ne s'étaient pas déroulées comme prévu.
Toutefois, Thomas ne put s'enquérir du résultat de sa démarche avant le coucher des enfants. Vers dix heures, sur le bout des pieds, elle vint le rejoindre dans la bibliothèque. Depuis son bureau, l'homme lui demanda tout bas :
— Le curé a refusé ?
— Non seulement il a refusé, mais il m'a intimé l'ordre de quitter cette maison.
— De quoi se mêle-t-il ?
— Si je m'expose volontairement à pécher encore, je ne peux pas prétendre avoir le ferme propos de ne pas recommencer.
Au moment
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