Faubourg Saint-Roch

gémissait Joséphine depuis l'embrasure de la porte.
    Eugénie, attirée par les cris, se tenait près des jupes de la domestique, les yeux écarquillés par l'effroi, alors qu'Edouard avait instinctivement rejoint la préceptrice. L'homme saisit un coin d'une couverture pour le rabattre sur le visage de son épouse, ramassa machinalement un oreiller tombé par terre près du lit pour le déposer sur le fauteuil. Puis il sortit de la chambre en fermant la porte derrière lui.
    —    Joséphine, allez tout de suite demander à Napoléon de quérir le médecin. Si l'homme hésite, qu'il le ramène en le portant sur son dos.
    La domestique hésita un moment, puis descendit. L'homme
    continua :
    —    Les enfants, montez au grenier avec Elisabeth.
    —    Non, je ne veux pas.
    La voix d'Eugénie ne fit pas plus de bruit qu'un soupir, alors que ses yeux agrandis se fixaient sur la préceptrice. Son père s'assit sur ses talons, la prit dans ses bras pour dire :
    —    Tu comprends ce qui se passe. Monte avec Elisabeth. Vous direz une prière pour maman.
    En pleurs, elle planta ses yeux dans les siens, puis obéit sans rien ajouter.
    Sans doute parce qu'il considérait ce dénouement comme imminent, le docteur Couture ne se fit pas prier pour venir chez les Picard. Au moment où il passa la porte, Thomas sortit de la bibliothèque pour l'accueillir.
    —    Napoléon, va m'attendre dans la cuisine, déclara-t-il à l'intention du cocher, puis pour le médecin: je monte avec vous, Docteur.
    —    Quand est-ce arrivé ? questionna celui-ci en gravissant les marches.
    —    Cette nuit. La cuisinière l'a trouvée en montant son déjeuner.
    Dans la chambre, Couture souleva le coin de la couverture, regarda les yeux déjà glauques, puis posa le bout de ses doigts sur le cou, à l'endroit de la carotide. Ensuite, il souleva l'un de ses bras pour en apprécier la légèreté.
    —    Evidemment ce n'est pas une surprise. Regardez sa maigreur. Cela aurait pu durer des années, mais comme son cœur se trouvait déjà affaibli... Mes condoléances.
    —    Merci.
    Thomas chercha l'ironie dans la voix du praticien, n'en trouva pas trace. Celui-ci continua après un moment :
    —    C'est terrible pour les enfants. Ils sont assez vieux pour avoir pleine conscience de ce qui se passe, mais pas assez pour savoir faire face à des événements de ce genre. Redescendons, je vais remplir les papiers dans votre bureau.
    Le médecin faisait allusion au certificat de décès. Le document porterait les mots « des suites d'une longue maladie». Cette question réglée, il serra la main du veuf, puis sortit sa montre de son gousset pour constater que mieux valait rejoindre sa famille directement à l'église.
    Thomas regagna la cuisine pour trouver Joséphine affalée dans sa vieille chaise berçante, pleurant bruyamment en s'essuyant les yeux avec son tablier.
    —    C'est si triste, Monsieur, gémit-elle en faisant mine de se lever.
    —    Restez assise...
    Il porta son attention sur Napoléon, assis à la vieille table de chêne, qui prenait les choses à la fois avec philosophie et un verre de bière Boswell.
    —    Je comprends que vous ayez besoin de réconfort, fit remarquer le patron avec un certain agacement, mais vous noierez votre peine plus tard. Pour le moment, vous devez avertir Lépine et mon frère de ce qui vient d'arriver. Si vous bougez votre postérieur assez vite, vous pourrez leur parler sur le parvis de l'église. Dites à Alfred de se débrouiller pour faire connaître la nouvelle au curé, ou au vicaire.
    De mauvaise grâce, en sifflant entre ses dents «mes condoléances», le domestique s'exécuta. Le maître de maison dit encore à la cuisinière :
    —    Vous préparerez un dîner léger. Quelque chose de froid. Je ne sais pas si quelqu'un aura le goût de manger
    aujourd'hui, mais à tout hasard...
    Sur ces mots, il regagna la bibliothèque pour attendre l'entrepreneur de pompes funèbres.
    Un peu avant midi, le glas sonna au clocher de l'église de l'autre côté de la rue. Pâles et tremblants, les enfants descendirent à la salle à manger. Autant Edouard tentait de rester toujours très proche des jupes d'Elisabeth, autant Eugénie s'en tenait éloignée. Des larmes coulaient en permanence de ses yeux rougis.
    Les employés de la maison Lépine s'affairaient dans le salon. Déjà, certains meubles avaient été transférés dans la bibliothèque. Le décès