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Faubourg Saint-Roch

Titel: Faubourg Saint-Roch
Autoren: Jean-Pierre Charland
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frère un moment, se fit la remarque que celui-ci ne ferait jamais un geste susceptible de réduire son emprise sur les affaires de la famille, encore moins pour avantager son frère aîné.
    —    Mais maman, je suis tout à fait content de mon sixième et de mon rayon au magasin. Cela me permet de bien vivre. En plus, cela me laisse du temps pour bien m'occuper de toi. Pourquoi modifier un arrangement qui convient à tout le monde ? Thomas préférera sans doute laisser toute l'entreprise au jeune monsieur du bout de la table.
    De sa fourchette, Alfred désigna Edouard qui, à ce moment, attendait patiemment qu'Elisabeth finisse de découper sa viande. Cette façon de présenter les choses avait l'heur de satisfaire tous les membres de la famille. Pour prouver sa bonne volonté, il ajouta encore :
    —    Dans vingt-cinq ans, quand je serai un chef de rayon tout décrépit, Edouard achètera mes actions afin de me procurer une retraite confortable. A ce moment, chère
    maman, j'irai au Vatican avec toi.
    —    Quel idiot tu fais !
    Toutefois, la vieille dame avait abandonné son ton de mégère. La perspective d'avoir encore son fils près d'elle dans vingt-cinq ans ne pouvait que la rassurer. Ce dilettante avait ses bons côtés. Thomas, quant à lui, préféra ne pas souligner que son frère lui attribuait une espérance de vie bien courte si Edouard devait diriger l'entreprise dans si peu d'années.
    De nombreux trajets permettaient de passer de la Basse-Ville à la Haute-Ville. Marie Buteau adopta le plus long peut-être, mais elle croyait que c'était le moins abrupt. Après la rue de la Reine, elle longea les rues Saint-Roch, Saint-Paul et Saint-Pierre, de manière à contourner le cap, pour atteindre la rue de la Montagne et la gravir à pas lents. A la hauteur du monumental bureau de poste, elle bifurqua à droite pour suivre le sommet de l'escarpement, passer devant les antiques canons de la Batterie royale, jusqu'à rejoindre la rue des Remparts.
    Le vaste édifice de pierre grise de l'Université Laval se dressait là, majestueux avec sa toiture de fer blanc et son clocheton. Près de l'entrée principale, la jeune fille reconnut de loin la silhouette longue et sombre d'Emile, son frère aîné.
    —    Bonjour, dit-elle en arrivant à sa hauteur, un peu essoufflée par la pente raide qu'elle venait de gravir.
    —    Bonjour. Comment vas-tu ?
    Tous les deux demeuraient embarrassés, incapables des gestes d'affection les plus simples, comme des étrangers. Et au fond, c'était bien cela. Marie avait quatre ans quand son aîné avait quitté la maison familiale pour poursuivre des études au Petit Séminaire de Québec, grâce surtout à la générosité du curé de leur paroisse. Depuis ce moment, d'abord le garçon vêtu d'un étrange uniforme, résolu à devenir savant, puis l'homme engoncé dans une soutane noire, avait fait naître un grand malaise chez elle.
    Quant à lui, en plus de la gêne attribuable au fait que pendant la moitié de sa vie, il n'avait plus côtoyé que des garçons ou des hommes, il était maintenant habité par la crainte du scandale. Des témoins se seraient inquiétés de le voir faire la bise à une femme, fut-elle très jeune, et sa sœur de surcroît. Quant à se serrer la main, cela aurait été franchement ridicule ! Aussi gardèrent-ils finalement chacun pour soi et les lèvres, et les mains.
    —    Nous entrons ? demanda-t-elle, mal à l'aise après un moment de silence.
    —    Comme il fait beau, nous pourrions nous asseoir près de la batterie.
    Ils revinrent ensemble vers la rue des Remparts.
    —    Tu comprends, se justifia-t-il en marchant, je passe mes semaines dans les livres de théologie, ou à faire la classe aux élèves de première année, au Petit Séminaire. Les occasions de respirer l'air frais demeurent rares.
    Marie comprenait surtout que les étudiants se destinant à la prêtrise se trouvaient isolés du monde. Les contacts avec les parents s'estompaient au point que les prêtres représentaient leur seule vraie famille. Les conversations au parloir avec une sœur cadette devenaient difficiles à justifier, même quand celle-ci demeurait la seule autre survivante de la lignée.
    La discrétion lui éviterait d'avoir à se justifier à son directeur de conscience.
    Entre deux canons peints en noir pour limiter les dégâts de la rouille, ils trouvèrent un banc de bois. Sous leurs yeux, le panorama spectaculaire du
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