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Faubourg Saint-Roch

Titel: Faubourg Saint-Roch Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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fleuve et des côtes verdoyantes de Lévis, de l'île d'Orléans et de Beauport retenait leur attention.
    —    Comment va le travail chez Picard ?
    —Je suppose que je n'ai pas à me plaindre. Les heures sont interminables, mais l'effort physique peu important.
    —    Tu n'as aucun ennui avec le contremaître ? On me dit que ceux-ci, parfois...
    Le séminariste ne savait comment évoquer les mains baladeuses devant une jeune fille qu'il considérait comme totalement ignorante des turpitudes de l'existence. Son éloignement des vicissitudes de la vie en société déformait sa perception des choses. Heureusement que les confessions se déroulaient dans la pénombre, car cet homme rougirait souvent au cours des prochaines années.
    —    D'abord, fit la jeune fille en souriant, on ne parle pas de contremaître, mais de chef de rayon. Ensuite, sois sans crainte, les postérieurs féminins sont en sûreté avec Alfred Picard... Enfin, si ce qu'on murmure est vrai.
    Le mot « postérieur », dans la bouche de sa sœur, fit rougir Emile Buteau jusqu'au bout des oreilles. Qu'une jeune fille de cet âge l'utilise ainsi le laissait pantois. Mieux valait ne pas s'enquérir des motifs qui lui procuraient la certitude que ses charmes ne se trouvaient pas menacés. A la fin, il murmura:
    —    Tu te retrouves toute seule à un âge dangereux. Je m'inquiète pour toi. Quelle pitié ! Nos deux parents morts en moins de deux semaines...
    —    Ne parle pas de cela...
    —    Une simple grippe...
    —    Arrête !
    Marie Buteau se leva pour aller s'appuyer contre l'affût d'un canon, tournant le dos au séminariste. Sous ses yeux, le fleuve s'estompa derrière un rideau de larmes. Quel imbécile son frère était devenu, enfermé dans son petit monde de soutanes. Si la grippe pouvait être un mauvais moment à passer dans la Haute-Ville, au pied de la pente abrupte elle tuait régulièrement des corps affaiblis par les privations et une vie d'un travail épuisant.
    Au fond, cette maladie avait eu le dessus sur sa mère. Son père, rendu infirme par l'arthrite depuis deux ans, avait tout simplement renoncé. Le couple avait laissé à peine de quoi payer les funérailles.
    La jeune vendeuse étouffa un sanglot qui agita brièvement ses épaules, essuya les larmes sur la manche de son vieux manteau d'un mouvement vif puis revint vers le banc. Afin de ne pas susciter une nouvelle débâcle d'émotions, le séminariste chercha un sujet plus neutre :
    —    Tu n'es pas trop mal lotie, chez ta logeuse ? demanda-t-il d'une voix un peu plus douce.
    —    Moins bien que si je vivais chez mes parents, pas plus mal que toutes les filles qui viennent de la campagne pour décrocher un emploi dans une manufacture. Beaucoup de soupe et de pain, rarement de la viande, une petite chambre partagée avec une travailleuse de la Dominion Corset. Cela doit se situer quelque part entre le paradis et l'enfer... Tiens, je dois me trouver au purgatoire.
    Les derniers mots furent accompagnés d'un rire bref. Emile songea que la misère rendait sa sœur cynique. En se retrouvant seule à seize ans, sans personne pour la guider, ne
    perdrait-elle pas son âme ?
    —    Si tu avais pu devenir novice, chez les religieuses...
    —    Pour me cacher des difficultés de la vie derrière une robe noire, comme toi ?
    Cette fois, sa voix trahissait un curieux mélange de sentiments, de la jalousie au mépris. Ensuite, décidément inquiet, il répondit avec une certaine brutalité :
    —    Pour recevoir un repas chaud trois fois par jour et assurer le salut de ton âme. Crois-moi, ce n'est pas un si mauvais choix.
    Marie secoua son visage mince de droite à gauche, se souvenant que les choses n'avaient pas été si simples. Toutes ses camarades, à l'école, caressaient plus ou moins ce rêve, pour les raisons évoquées par son frère. Les religieuses avaient le privilège de choisir leurs recrues. Voir des yeux d'un bleu presque noir inquiétait ces saintes femmes : fillette, la vendeuse avait entendu l'une d'elles qualifier son regard de «sale»! Après avoir tenté de les laver avec du savon, l'irritation avait duré quelques jours, la méfiance demeurait toujours aussi vive.
    —    Et les cours de clavigraphie que tu as suivis... reprit le séminariste après un moment. Ils ne te permettraient pas de travailler dans un bureau ?
    Même si toutes les remarques de son frère trahissaient son inquiétude pour elle,

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