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Faubourg Saint-Roch

Titel: Faubourg Saint-Roch Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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Marie entendait dans sa voix moins la tendresse que des reproches implicites, comme si elle décevait ses attentes. Il la soumettait à une sorte d'inquisition bienveillante.
    —    Cela non plus ne va pas de soi. Tu te souviens, j'ai quitté le couvent au moment des décès, pour me chercher un emploi. Je n'ai pas terminé le cours académique. Même sans cet événement, j'aurais tout de même dû abandonner, pour gagner ma vie. Nos parents ne possédaient plus rien. Papa vendait ses meubles pour payer les derniers mois de ma scolarité.
    Le diplôme académique couronnait un séjour de huit ans dans une école de jeunes filles, dirigée par les religieuses de la congrégation Notre-Dame, ou par toute autre communauté. Celles-ci recevaient des externes à leur établissement situé au coin des rues Saint-Joseph et de la Couronne. Avec ce bagage presque complété, Marie pouvait passer pour instruite : la majorité de ses collègues vendeuses n'en possédaient pas la moitié. Parmi les femmes de sa génération, plusieurs ne savaient ni lire ni écrire.
    —    Cela ne fait rien, tu pourrais demander encore à ton patron.
    —    Je le ferai, formula-t-elle, d'une voix lasse.
    —    Je sais que des cours de clavigraphie sont offerts le soir.
    Depuis une trentaine d'année, le Conseil des arts et manufactures dispensait des formations susceptibles de permettre à des travailleurs d'améliorer leur sort. Bien sûr, après plus de dix heures de travail, il fallait un courage et une résistance à toute épreuve pour se résoudre à deux heures d'apprentissage. Pendant un long moment, le frère et la sœur demeurèrent silencieux, ayant épuisé les sujets habituels de conversation. A la fin, la jeune fille risqua :
    —    Tu savais, toi, que des domestiques sont engagés pour s'occuper des enfants ?
    —    ... Je n'y ai jamais pensé, mais je suppose que oui. Pourquoi ?
    —    Une idée comme ça. Ce serait moins dur que le magasin.
    Le souvenir d'Elisabeth à l'église, ce matin, passa devant
    les yeux de Marie.
    —    Si tu patientes, tu pourras devenir ma ménagère. Tu imagines, jouer le rôle de Madame Curé ?
    Le ton se voulait humoristique, ce qui ajoutait à la cruauté de la situation : elle cherchait une solution à sa misère tout de suite, pas un hypothétique refuge dans un presbytère et dans dix ans. La vendeuse tenta en vain d'adopter le même ton pour répondre :
    —    A Québec, ce sont des religieuses qui jouent le rôle de ménagères. On revient à ta première idée.
    Après un nouveau silence un peu plus long que le précédent, Emile Buteau commença à s'agiter sur le banc. Le temps de replonger dans son bréviaire approchait, mais il ne savait pas trop comment la quitter. Elle se résolut à l'aider :
    —    Je vais rentrer. Demain, je dois me lever tôt.
    Formulé à trois heures de l'après-midi, le prétexte sonnait
    terriblement faux. Debout près du banc, la jeune fille fouilla dans son manteau, sortit sa main fermée.
    —J'ai pu mettre cela de côté, pour toi.
    Le séminariste eut un moment d'hésitation, rougit, puis en posant sa main sur celle de sa sœur, le premier contact physique entre eux depuis son arrivée, laissa tomber :
    —    Ce n'est pas nécessaire.
    —    Le prix de tes études...
    —    Comme la plupart de mes collègues, je les paie en enseignant aux jeunes élèves du Petit Séminaire. Il paraît que cela nous prépare à prêcher dans une église, en plus. Puis cet été, je deviendrai vicaire d'une paroisse de la ville. J'espère que ce sera Saint-Roch. Cela représentera une sorte d'apprentissage, en fait. Ensuite, c'est moi qui pourrai t'aider un peu.
    Marie Buteau empocha ses quelques pièces, demeura un
    moment immobile, ses yeux de nouveau pleins de larmes dans ceux de son frère. A la fin, pour dissiper le malaise qui s'installait, il déclara :
    —Je dois rentrer.
    —    ... Oui, bien sûr.
    —    À dimanche prochain.
    —    C'est cela, à dimanche.
    Sans se toucher, sans s'embrasser, chacun tourna les talons. Cette fois, la jeune fille décida de descendre la Côte-de-la-Canoterie. Elle arriverait un peu plus vite à la maison, là où elle s'ennuierait au point d'avoir hâte de rentrer au magasin le lendemain.
    Le Club de la garnison, un grand édifice de pierre situé à l'intérieur des murs de la ville, se dressait près de la porte Saint-Louis. Il accueillait les officiers de la milice

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