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Faubourg Saint-Roch

Titel: Faubourg Saint-Roch
Autoren: Jean-Pierre Charland
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écrire ?
    —    Au moins, je travaillerais assise...
    Alfred Picard s'éloigna un peu pour examiner la jeune fille des pieds à la tête.
    —    Vous ne paraissez pas très robuste. Rappelez-moi votre
    âge.
    —    Seize ans.
    Son interlocuteur grimaça. Saint-Roch n'était pas assez grand pour qu'il ignore les malheurs de la petite orpheline. Plus talentueux, il en aurait fait le sujet d'un roman larmoyant, un peu comme La Porteuse de pain, une œuvre française publiée quelques années auparavant en feuilleton à Québec.
    —    J'ai bien quelques lettres à envoyer, puis des rapports.
    Les chefs de rayon entretenaient des relations directes
    avec les fournisseurs, puis ils rendaient compte de leurs opérations hebdomadaires au grand patron.
    —    Mais cela doit représenter tout au plus une heure de travail par jour, précisa-t-il.
    —    Je serais heureuse de faire cette heure-là.
    —    Il n'y a pas de machine ici.
    De la main, l'homme fit un geste ample, pour désigner sa section du magasin.
    —    Mais vous pourriez passer du côté de l'administration en fin de journée. Disons à cinq heures tous les soirs.
    —    Ce serait parfait.
    L'espoir, mêlé à la crainte que ce projet ne se réalise pas, la laissait interdite, les lèvres entrouvertes sur de petites dents blanches.
    —Je vais en toucher un mot à mon frère. Et fermez cela, pour ne rien avaler de répugnant, comme ces petites choses avec des ailes et plein de pattes.
    Du bout de l'index, il lui souleva le menton pour fermer sa bouche.
    —    Tu ne me diras pas que tu es entiché de ses yeux noirs.
    —    Bleus.
    —    Pardon ?
    —    Ses yeux sont d'un bleu sombre, comme le ciel un soir d'été, après le coucher du soleil.
    Thomas Picard, assis derrière le grand meuble qui occupait la moitié de son bureau, regardait son frère avec des yeux intrigués. Se pouvait-il qu'après toutes ces années?...
    —    Tous les chefs de rayon s'occupent eux-mêmes de leur correspondance. Aucun ne profite des services d'une secrétaire particulière.
    L'homme avait accentué le dernier mot, avec un sourire complice, d'homme à homme.
    —    Hier, tu me proposais de devenir le gérant d'une manufacture. Si tu souhaites que j'accepte un jour, laisse-moi profiter de quelques prérogatives de patron, histoire de me mettre l'eau à la bouche.
    Thomas demeura un moment songeur, puis dit dans un soupir :
    —    Une machine à écrire se trouvera sans doute libre tous les jours en fin de journée. Si jamais ce n'était pas le cas, elle pourra rattraper le temps perdu à l'heure du lunch. Nous allons prendre bien soin de ta petite protégée.
    —Je te remercie pour elle. Infiniment. Et toi, tu es satisfait de la tienne ?
    —    Pardon ?
    —    Cette jolie demoiselle Trudel, ta protégée : tu es satisfait de ses services ?
    Le commerçant présenta une mine agacée, puis finit par dire avec impatience :
    —    Après deux jours, je ne saurais avoir déjà une opinion.
    Elle semble cependant bien compétente, les enfants se montrent déjà attachés à elle.
    —    Maman m'a rebattu les oreilles toute la soirée, hier. Elle est effrayée par le qu'en-dira-t-on.
    —    Mais qui dira quoi ?
    —    Tout le monde murmurera dans ton dos ce que tu as dit tout à l'heure de moi et de Marie Buteau, avec les mêmes yeux égrillards et le même sourire entendu.
    Thomas refoula les gros mots qui lui venaient aux lèvres, puis réussit à répondre d'un ton posé :
    —    Je blaguais, tout simplement. Tu pourras rappeler à l'auteure de nos jours que je suis un homme marié, sans aucune inclination pour les amours ancillaires.
    —    Oh ! Cela la rassurerait certainement si seulement elle connaissait ce mot, répondit son interlocuteur en se levant de sa chaise.
    Le chef de rayon quitta la pièce en sifflotant un air d'Offenbach.
    Certaines informations préviennent favorablement le lecteur. Ainsi, un ouvrage intitulé Usages du monde - Règles de savoir-vivre dans la société moderne, rendu à sa vingt-quatrième édition, avait de quoi impressionner une préceptrice dont l'expérience de travail cumulée durant toute son existence ne donnait pas tout à fait deux jours. Que le petit traité de bienséance émane de la baronne de Staffe l'incitait à le considérer avec le même respect que le petit catéchisme.
    Aussi, au moment de descendre à la cuisine un peu après cinq
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